Au moins 600 commerçants de l'est de Montréal payent une taxe obligatoire (pizzo) à la mafia montréalaise, révèlent les journalistes André Cédilot et André Noël dans leur livre Mafia inc. lancé hier à Montréal. Les deux auteurs mettent en garde la population contre l'infiltration croissante de la mafia dans l'économie licite du Québec.

«Si le gouvernement ne prend pas les moyens pour enrayer ça, on pourrait bien se retrouver dans quelques années dans la même situation que l'Italie, où l'on n'arrive plus à se débarrasser du pouvoir financier de la mafia», avertit André Cédilot, qui a travaillé comme chroniqueur judiciaire à La Presse pendant 35 ans.

Mafia inc. raconte l'histoire du clan Rizzuto et explique comment ses ramifications sont liées au pouvoir politique et au milieu des affaires. Aux yeux des auteurs, la mafia montréalaise n'a jamais été aussi incrustée dans l'économie québécoise.

«Le pizzo, c'est la base de l'infiltration de l'économie légale par la mafia», a expliqué André Cédilot, hier.

Le pizzo - aussi appelé «racket de protection» - permet à la mafia d'exercer un contrôle sur les entreprises qui le lui versent. Ce n'est pas une pratique nouvelle, mais son visage a beaucoup changé au fil des années.

Jadis, les mafieux exigeaient des commerçants un pourcentage de leurs recettes. Aujourd'hui, leurs méthodes sont beaucoup plus raffinées, selon les auteurs du livre, qui ont examiné des pages et des pages de documents judiciaires et consulté de nombreuses sources policières.

Les mafieux peuvent notamment forcer des commerçants à vendre les produits de leurs entreprises, leur faire payer des factures ou leur demander toutes sortes de services. Les commerces visés appartiennent pour la plupart à la communauté italienne et sont très variés: entreprises de construction, boutiques de vêtements, salons de coiffure, magasins d'alimentation, bars, etc.

Par exemple, a raconté hier André Cédilot, des mafieux ont un jour fortement incité un boulanger de l'est de Montréal à vendre 100 de leurs lapins en chocolat. Bien qu'il n'ait pas réussi à les écouler, le boulanger a dû les payer sous peine de représailles.

La majorité des entreprises versent le pizzo parce qu'elles ont peur de porter plainte à la police. Selon les auteurs du livre, d'autres y voient un avantage et acceptent volontiers de payer en échange d'éventuelles faveurs de la mafia.

En plus de percevoir le pizzo, la mafia crée des entreprises en utilisant des prête-noms. «Les membres de la mafia veulent devenir des gens respectables et, en plus, ils ont des tonnes d'argent à blanchir», explique M. Cédilot.

Les autorités politiques et policières réagissent peu au problème de l'infiltration de la mafia dans l'économie, déplorent André Cédilot et André Noël. Pourtant, l'opération antimafia Colisée, menée en 2006, leur a permis d'amasser une foule de renseignements à ce sujet.

«Bien des Québécois réclament une commission d'enquête sur l'industrie de la construction, mais on peut parfois se demander s'il ne faudrait pas plutôt relancer une deuxième phase de la Commission d'enquête sur le crime organisé», concluent-ils.

Mafia inc., publié aux Éditions de l'Homme, est maintenant en librairie.