La polygamie est bel et bien illégale. C'est du moins la décision rendue mercredi par un juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, qui ouvre la voie à des poursuites criminelles contre les membres de la communauté fondamentaliste mormone de Bountiful.

Ce feuilleton judiciaire est cependant loin d'être terminé; tous s'entendent mercredi pour dire que la cause se retrouvera vraisemblablement devant la Cour d'appel de la province et, éventuellement, devant la Cour suprême du Canada pour encore plusieurs mois, voire plusieurs années.

C'est sans doute en partie pour cette raison que le juge en chef Robert Bauman, qui s'est prononcé sur la validité de la loi dans le cadre d'un renvoi, donc à la demande du gouvernement provincial, a pris soin de bien détailler sa décision. Le jugement tient sur plus de 300 pages et près de 1400 paragraphes et retrace l'histoire et les multiples facettes de la polygamie au Canada, dans le monde, dans différentes cultures et religions et au fil de l'histoire.

Après 42 jours d'audiences et plusieurs mois de délibérations, le juge en est arrivé à la conclusion que l'article 293 du Code criminel était constitutionnel. Selon lui, cet article contrevient bel et bien à la liberté de religion protégée par la Charte des droits et libertés, mais cette atteinte est justifiée par le fait que la polygamie cause un tort considérable aux femmes, aux enfants et à l'institution canadienne du mariage.

Seule exception, a écrit le juge: les mineurs de 12 à 17 ans forcés de contracter un tel arrangement matrimonial ne sauraient, comme les adultes, être visés par la disposition vieille de 125 ans qui prévoit une peine d'emprisonnement maximale de cinq ans.

Accueil partagé

La décision a reçu un accueil partagé. Le gouvernement fédéral, qui était partie au litige, l'a applaudie. «La polygamie n'a pas sa place dans la société moderne et la prohibition est conforme aux valeurs canadiennes, à la Charte et à la Déclaration canadienne des droits», a déclaré le ministre de la Justice, Rob Nicholson.

Interviewé par le Globe and Mail, l'un des deux leaders de la communauté de Bountiful, Winston Blackmore, a minimisé les conclusions du juge et réitéré sa conviction que la Cour suprême lui donnera un jour raison. Il a souligné que l'adultère était considéré comme un crime au Canada jusqu'en 1985.

À Montréal, un porte-parole de la Canadian Polyamory Advocacy Association n'a pas voulu crier victoire. John Bashinski, qui est intervenu dans la cause, vit en union libre avec deux conjoints, un homme et une femme, avec qui il élève un enfant. Or, la Cour suprême de Colombie-Britannique a pris soin de préciser que l'article 293 ne s'appliquait pas aux «relations multipartites, non mariées ou en cohabitation de fait».

«Je crains que ça ne criminalise ceux qui sont dans ma situation et qui ont en plus fait un pacte informel», a dénoncé le résidant de Notre-Dame-de-Grâce.

Plusieurs experts se sont par ailleurs montrés sceptiques quant à la validité légale du jugement. «Ce qui m'étonne, c'est que quand on lit l'article 293 du Code criminel, c'est vraiment un article qu'on peut décrire comme étant trop large» et trop difficile à comprendre, a noté Pascale Fournier, professeure de droit de la famille et de droit constitutionnel à l'Université d'Ottawa. Selon elle, la Cour suprême du Canada pourrait éventuellement l'invalider pour cette raison.

La professeure Fournier a aussi fait valoir que, dans la mesure où le juge s'est dit préoccupé du bien-être des femmes et des enfants, le maintien de la criminalisation n'était pas nécessairement la meilleure solution.

Le feuilleton de la communauté fondamentaliste d'environ 1000 personnes dans le sud-est de la Colombie-Britannique dure depuis plusieurs années. À de nombreuses reprises, les autorités provinciales ont cherché à poursuivre les leaders en vertu du Code criminel, jusqu'ici sans succès.