Neuf Québécoises sur 10 estiment que les femmes ont encore des luttes importantes à mener pour obtenir la pleine reconnaissance de leurs droits, indique un sondage Segma-La Presse réalisé auprès de 505 Québécoises.

«Si l'on ajoute à cela le fait que sept Québécoises sur 10 estiment clairement que la discrimination demeure, il ne fait aucun doute que les femmes ont des valeurs et des opinions clairement féministes même si elles hésitent à se définir comme telles», analyse Raynald Harvey, président de la firme de sondages Segma.

Naturellement à l'affût des nouvelles tendances, les médias ont fait grand cas, un temps, d'un retour au foyer souhaité. Aucune trace de cela dans le sondage, poursuit M. Harvey: à peine 6% des femmes souhaiteraient y rester, alors qu'une vie professionnelle active est une source de valorisation importante pour 88% des répondantes.

Les grands combats à mener? Loin devant, l'équité salariale, à 39%. «Ce n'est pas surprenant dans la mesure où les femmes, en 2009, gagnent encore beaucoup moins que les hommes», souligne Françoise David, porte-parole de Québec solidaire. De fait, en janvier, l'Institut de la statistique du Québec a révélé que, selon les plus récentes données, le revenu des femmes ne correspond toujours qu'à 76% de celui des hommes.

Une question de génération

Le sondage démontre également que le féminisme ne veut pas dire la même chose pour toutes les générations de femmes (voir autre texte). Ce n'est qu'à partir de l'âge de 45 ans que les femmes se disent en majorité féministes. La proportion n'est que de 40% chez les 18 à 34 ans.

Et quand on interroge précisément les Québécoises sur leur appréciation des groupes féministes, pas moins de 47% des Québécoises les jugent soit dénués d'influence ou d'intérêt, soit totalement dépassés.

Les féministes québécoises dont le militantisme remonte aux années 70, aux belles heures du magazine La vie en rose, n'y voient pas là source de découragement. «Nos détracteurs ont longtemps gagné sur le plan du marketing, mentionne Ariane Émond, féministe convaincue. On nous a reproché le suicide et le décrochage des garçons, et il suffisait de reprendre cette citation de Benoîte Groulx selon laquelle la révolution féministe s'est faite sans effusion de sang pour que certains hommes nous lancent que, au contraire, ils se tuaient à cause de nous! Mais là, certains signes d'un revirement de situation ne trompent pas.»

Mme Émond mentionne le retour salué, le temps d'une publication anniversaire, de la revue féministe La Vie en rose.

Barbara Legault, âgée de 33 ans et responsable du Comité jeunes à la Fédération des femmes du Québec, croit aussi que les dérapages des masculinistes ont fini par servir les féministes. «Il y a aussi cette montée du conservatisme, en politique, qui en a réveillé plusieurs.»

Et à entendre Francine Pelletier, il n'est pas sûr que les femmes qui ont 25 ans aujourd'hui ne se déclareront pas féministes quand elles auront 35 ans. «La vie, ça radicalise!»

Le travail ou le foyer?

L'éco-sociologue Laure Waridel, âgée de 36 ans, ne saurait la contredire. «Jusqu'à ce que je devienne mère, je ne sentais pas trop cette inégalité, dit-elle. Puis j'ai eu mes enfants et, pour moi, c'était beaucoup plus important que pour mon conjoint qu'ils ne passent pas leurs journées à la garderie. Nous avons tous les deux ralenti nos activités, mais moi, j'ai fait des choix plus radicaux, comme beaucoup de mes amies. J'ai beaucoup de copines qui ont un doctorat mais qui ont fait le choix de devenir travailleuses autonomes et de se contenter de revenus précaires même si elles avaient la possibilité de gagner beaucoup plus que leur conjoint.»

Selon notre sondage, si les femmes jugent à 88% que le travail est source de valorisation, elles n'en donnent pas moins la priorité à la famille. «Être féministe, ça ne signifie clairement pas que l'on ne veut pas d'enfants», note d'ailleurs Raynald Harvey, citant ces 71% de Québécoises qui trouvent principalement leur bonheur en famille et auprès de leurs enfants. «C'est comme cela pour moi aussi, dit Françoise David. À la fin d'une journée, d'une semaine ou d'une vie, c'est bien plus les relations humaines que ce que l'on a abattu comme travail qui nous reste.»