Combien coûte l'installation d'une nouvelle sonnette dans l'édifice du ministère des Travaux publics?

Mille dollars.

Combien coûte l'installation de six luminaires encastrés dans le plafond d'un autre bureau du même complexe immobilier de Gatineau?

Cinq mille dollars.

Et combien peut coûter le retrait d'un interrupteur, dans un bureau dans lequel on fait des travaux, à quelques étages de celui du ministre des Travaux publics?

Mille dollars.

Ce sont là quelques exemples des services facturés au gouvernement par Profac, une filiale de SNC-Lavalin, dans le cadre d'un lucratif contrat de 6 milliards de dollars conclu en 2004 pour gérer 320 immeubles fédéraux au Canada, pour une superficie totale de 3 millions de mètres carrés.

Chaque année, le gouvernement fédéral verse près de 550 millions à l'entreprise dans le cadre de ce contrat qui devait durer jusqu'en 2009. L'entente a depuis été prolongée jusqu'en 2011 puis, tout récemment, jusqu'en 2013. Elle pourrait encore l'être de deux ans, jusqu'en 2015, a-t-on indiqué au gouvernement.

Selon SNC, le maximum que sa filiale pourra facturer à Ottawa, à terme, sera 5,9 milliards.

Accès à l'information

Pour voir comment on en arrive à une telle somme, La Presse a invoqué la Loi sur l'accès à l'information pour obtenir toutes les factures que l'entreprise a présentées au gouvernement depuis deux ans pour la gestion de Portage III, un complexe de trois tours dans lequel sont situés les bureaux du ministère des Travaux publics.

En plein coeur de la région de la Capitale-Nationale, en Outaouais, il s'agit d'un centre névralgique par où passent la majeure partie des contrats accordés par le gouvernement fédéral - y compris celui de Profac.

Or, les résultats de notre enquête soulèvent plusieurs questions. Par exemple: pourquoi le gouvernement fédéral doit-il payer 1000$ pour faire changer une sonnette?

Pourquoi, tous les six mois, Travaux publics se fait-il facturer 18 000$ pour le nettoyage supplémentaire des bureaux du ministre et du sous-ministre? À noter que la plupart des factures consultées datent de l'époque où le ministre des Travaux publics était le lieutenant québécois de Stephen Harper, Christian Paradis.

Comment se fait-il que l'enlèvement d'un indicateur lumineux de sortie coûte 250$?

Et comment l'achat de deux plantes et de deux pots pour le bureau d'un fonctionnaire peut-il atteindre 2000$, alors que chacune de ces plantes coûte entre 175$ et 200$ chez un grossiste?

Réponses

À Profac et au gouvernement, on répond que les coûts facturés par l'entreprise sont conformes aux prix du marché. «Les taux indiqués dans le contrat sont ceux proposés par le fournisseur de service dans le cadre d'un processus concurrentiel d'appel d'offres», a fait valoir une porte-parole du ministère des Travaux publics, France Langlois.

Ils «représentent le meilleur rapport qualité-prix pour l'État».

À l'ensemble des questions soumises par La Presse, l'entreprise et le ministère des Travaux publics ont fourni sensiblement les mêmes réponses, dans certains cas à la virgule près, et à quelques minutes d'intervalle.

L'interrupteur à 1000$? «Les travaux consistaient à enlever l'interrupteur d'un bureau qui a été relocalisé. Ça a été fait après les heures de bureau et en conformité avec le Décret électrique provincial, qui requiert un minimum de quatre heures payées en temps supplémentaire», a expliqué la porte-parole du ministère.

Le ménage à 36 000$ par an? «Le contrat de nettoyage de l'immeuble n'inclut pas du nettoyage supplémentaire le jour pour les bureaux du ministre et du sous-ministre, a ajouté Mme Langlois. Un nettoyeur de jour a été engagé en passant par le contrat de l'immeuble.»

La sonnette? «Les travaux furent effectués après les heures normales, qui sont 18h et plus. Les travaux électriques suivent la convention des maîtres électriciens du Québec, qui stipule que les travaux effectués après 16h doivent être rémunérés à temps double pour un minimum de 4 heures», a déclaré Profac.

Information cachée

SNC-Lavalin a toutefois refusé de fournir certains détails clés des quelque 200 pages de factures remises à La Presse. En général, chacune d'elles comporte trois postes: construction (ce qui inclurait les honoraires des sous-traitants et le coût des matériaux), main-d'oeuvre et frais de gestion.

Or, les sommes inscrites à chacun de ces postes ont été soigneusement effacées avant que les documents ne soient rendus publics. Le gouvernement a affirmé que, en raison de la nature confidentielle de ces données commerciales, il devait demander la permission à l'entreprise avant de les divulguer. Cette dernière a refusé.

«Si on vous dit la proportion, ce sera possible de calculer ce que sont nos frais à nous. Dans notre industrie, il n'est pas possible de divulguer ces sommes», a expliqué Leslie Quinton, porte-parole de SNC-Lavalin.

«Mais je peux vous dire qu'ils sont très concurrentiels et constants en ce qui concerne le marché en général.»

Même pour le changement d'interrupteur à 1000$, par exemple, ou pour retirer un indicateur lumineux de sortie, des frais de gestion ont été facturés au gouvernement. «Comme dans tous nos projets, des frais de gestion sont applicables», a reconnu Leslie Quinton.

«Pas justifié»

Mais selon l'avocat montréalais Marc-Aurèle Racicot, spécialisé en accès à l'information, cette interprétation de la Loi sur l'accès à l'information est inacceptable.

«Je suis d'avis que le Ministère n'a aucune raison de refuser la communication des factures, a-t-il tranché. Il est très difficile de croire que des factures concernant des frais de gestion puissent objectivement contenir des renseignements confidentiels. Une entreprise peut-elle raisonnablement s'attendre à ce que les sommes payées à même les fonds publics demeurent confidentielles?»

Tant que ces données ne seront pas accessibles, cependant, il sera impossible de voir si ces services ont été facturés conformément aux prix du marché et représentent une dépense raisonnable des fonds publics - particulièrement dans une période où Ottawa annonce des années de vaches maigres pour rétablir l'équilibre budgétaire.

«Est-ce qu'il y a des économies à faire? Je suis convaincu que oui», a noté Marcel Proulx, député libéral de la circonscription de Hull-Aylmer, où se trouve le complexe Portage III.

«La preuve, c'est qu'ils dépensent en disant qu'ils font ça le soir... Un bon gestionnaire d'immeubles fait ça le jour, il ne fait pas ça le soir ou les fins de semaine.»

Avec la collaboration de William Leclerc

* * *

 

EXPLICATIONS DE PROFAC OU DU MINISTÈRE

Le gouvernement décrit ainsi le mandat de Profac: «Les services de gestion immobilière, à savoir le fonctionnement et l'entretien des immeubles, les projets de services aux locataires, les travaux de réparation et les projets d'amélioration des immobilisations de moins de 200 000$.»

Profac n'est pas uniquement active au fédéral. Au mois d'octobre dernier, la filiale de SNC a reçu de la Ville de Montréal le mandat d'évaluer l'état de ses 1550 immeubles et d'établir les priorités d'entretien. On prévoit qu'il faudra dépenser 1 milliard de dollars pour restaurer tous ces immeubles.

 

INSTALLATION D'UNE SONNETTE

1000,41 $

- Les travaux consistaient à passer du fil à travers un plafond.*

- Ils ont été effectués après 18h, donc à taux double pour un minimum de quatre heures.*

ACHAT DE DEUX PLANTES ET DE DEUX POTS

1948,72$

- «C'est pour 2 plantes avec pot pour le (local) 5B3. Les plantes sont: une Cycas revoluta de trois pieds de hauteur avec pot associé et une Yucca elephantipes de 6 pieds avec pot associé. « (porte-parole de Profac). *

INSTALLATION DE TROIS STORES

1414,95 $

- Les travaux consistaient à installer 3 stores pour la salle 10A1203 de la tour A. Chaque nouveau store coûtait 392$ ou 335$, y compris l'installation qui a été faite après les heures de bureau.*

ENLÈVEMENT D' UN INTERRUPTEUR

1000,41 $

- Le travail consistait à enlever un interrupteur d'un bureau et il a été fait après les heures régulières (par un sous-traitant). Des heures supplémentaire sont donc pu être facturées. *

ENLÈVEMENT D'UN PANNEAU ÉLECTRIQUE DE «SORTIE»

256,22 $

- L'enseigne électrique de plafond était branchée sur un courant de 347volts. Les travaux ont été faits le jour; selon l'entente de la convention électrique du Québec, un minimum de 2 heures à temps régulier devait être facturé. *

POSE DE SIX LUMIÈRES ENCASTRÉES DANS LE PLAFOND

5266,80 $

- Il s'agissait d'installer du câblage partant de la salle électrique et une nouvelle prise dans le plafond

après les heures de travail, donc nécessitant le paiement d'heures supplémentaires. *

«EXTRA» MÉNAGE DANS LES BUREAUX DU MINISTRE ET DU SOUS-MINISTRE

18 650,87 $

- Il s'agit d'un coût pour six mois, récurrent, donc de 36 000 $ par an. «Le contrat de ménage ne couvre pas du nettoyage «extra durant le jour», a expliqué le Ministère. D'où les coûts supplémentaires pour les services supplémentaires. *

 

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