Parias de l'Europe, les Roms ont la vie dure partout où ils vont. Dans les pays d'Europe centrale et de l'Est où ils sont la cible des mouvements de droite. Mais aussi en France, en Allemagne et en Italie, d'où on les expulse. Aux yeux de plusieurs d'entre eux, le Canada était devenu la seule issue. Mais cette porte de sortie se referme rapidement, comme le suggère le sort réservé par Ottawa aux Roms de la République tchèque.

Il y a deux ans, la demande d'asile de Vladimir* serait passée comme une lettre à la poste.

Militant pour les droits des Roms en République tchèque, d'où il est originaire, l'homme de 48 ans raconte qu'il a été poignardé par une bande de néonazis. Son fils a été battu à plusieurs reprises. Quotidiennement, les membres de sa famille se font traiter dans la rue de «sales gypsies» et de «culs noirs».

Le père de trois enfants a des papiers de la police pour le prouver. Et des documents de l'hôpital où il a été traité pour ses blessures. «Nous avons tout pour démontrer que nous sommes persécutés», plaide l'homme aux cheveux poivre et sel, en faisant claquer ses chaussures en cuir blanc verni l'une contre l'autre.

La juge de la Commission de l'immigration et du statut de réfugiés (CISR), qui s'est penchée sur son cas il y a quelques mois, a vu les choses autrement. Selon sa décision, Vladimir et sa famille, installés à Toronto depuis leur arrivée en septembre 2008, n'ont pas de «raisons suffisantes» pour obtenir l'asile au Canada. Elle leur a refusé le statut de réfugié.

Directeur du Centre communautaire rom de Toronto, Paul St-Clair n'en revient pas. En 13 ans, il a vu passer des centaines de demandes d'asile et croit que le cas de Vladimir est particulièrement fort et bien documenté.

Selon lui, cependant, ce dernier est victime d'un changement de cap au sein de la CISR où le taux d'acceptation des demandes d'asile des Roms tchèques est passé de 94% en 2008 à moins de 10% en 2010.

«Il se passe presque la même chose au Canada qu'en France, tonne le directeur du Centre communautaire rom. En France, on expulse les Roms devant les caméras. Ici, on les laisse passer à travers la procédure de demande d'asile, mais le résultat est le même: ils sont tous refusés.»

Freiner la vague

M. St-Clair estime que le gouvernement de Stephen Harper multiplie les mesures pour empêcher les Roms de s'installer au pays. Une des premières d'entre elles est survenue en 2009. Le 13 juillet de cette année-là, voyant que quelque 3000 revendicateurs d'asile étaient arrivés de République tchèque entre 2007 et 2009 - presque tous des Roms - le gouvernement a imposé un visa aux ressortissants du pays d'Europe centrale.

Cette mesure, qui a été accompagnée de plusieurs énoncés publics du ministre au sujet d'une vague de «faux réfugiés» a, selon M. St-Clair, eu un impact direct sur les commissaires de la CISR qui, du jour au lendemain, ont commencé à rejeter les demandes d'asile des Roms qui étaient déjà en territoire canadien. Dont celle de Vladimir. «Il ne faut pas oublier que les commissaires sont nommés par le gouvernement et que leur mandat est renouvelé par lui», rappelle-t-il.

Rocco Galati, l'avocat qui représente Vladimir ainsi que plusieurs autres Roms dans une situation semblable, compte bientôt lancer un recours collectif au nom des demandeurs d'asile déboutés, appartenant au groupe ethnique le plus défavorisé d'Europe. «Je veux demander des dommages et intérêts pour tous les Roms, qu'ils soient tchèques, hongrois ou roumains qui n'ont pas reçu l'asile parce que le ministre a fait de l'interférence auprès de la CISR», affirme l'avocat.

Joint par La Presse, le gouvernement canadien rejette les allégations de Me Gallati. «Nous n'avons pas envoyé de directives à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR), a écrit hier par courriel une attachée de presse du Citoyenneté et Immigration Canada. Les demandes d'asile sont examinées par la CISR, qui est un organisme quasi judiciaire indépendant.»

Le gouvernement note aussi qu'il ne connaît pas le nombre de demandes d'asile déposées spécifiquement par les Roms puisque les statistiques recueillies indiquent uniquement le pays d'origine des demandeurs et non pas le groupe ethnique auquel ils appartiennent.

CIC affirme qu'un visa a été imposé aux ressortissants tchèques parce que «plus de la moitié des demandes d'asile en provenance de ce pays ont fait l'objet d'un désistement avant que la CISR ne rende une décision définitive à leur égard, ce qui semble indiquer que bon nombre de demandeurs d'asile ne sont pas des réfugiés authentiques», écrit l'attachée de presse.

Nouvelles arrivées massives

L'imposition de visas aux ressortissants tchèques n'a pas freiné l'arrivée des Roms au pays. Ils ne viennent plus de la République tchèque mais de la Hongrie et de la Slovaquie, deux pays toujours exemptés de visas.

Plus de 4000 Roms hongrois sont arrivés au cours des deux dernières années, dont quelque 1200 cette année seulement. Entre 600 et 700 Roms slovaques ont fait de même.

Ces nouvelles vagues d'immigration semblent inquiéter le gouvernement conservateur. En avril dernier, La Presse, grâce à une demande d'accès à l'information, a obtenu une note de service démontrant que le ministre de l'Immigration, Jason Kenney, songeait à imposer un visa aux ressortissants slovaques. «La Slovaquie a été le seul pays de l'Union européenne à critiquer publiquement la décision du Canada d'imposer un visa à la République tchèque», peut-on lire dans la note d'information du Ministère.

Le mois dernier, M. Kenney s'est aussi attiré les foudres de l'opposition, en acceptant de participer à une rencontre sur l'immigration organisée par Nicolas Sarkozy. «Le gouvernement Harper ne fait rien pour dire aux pays européens de mieux s'occuper de leur population rom afin que ces derniers n'aient plus à demander l'asile au Canada. Au lieu de ça, il impose des visas et donne son approbation aux expulsions du président français en se rendant à la réunion que ce dernier a organisé», fait valoir le député libéral et ex-premier ministre de Colombie-britannique, Ujjal Dosanjh, en promettant de continuer sa croisade pour le peuple le plus mal en point de l'Europe.

* Afin de protéger l'identité des demandeurs d'asile, nous avons utilisé des noms fictifs.