Dans son curriculum vitae, il parle du «camarade Marc Laviolette « et de la «camarade Claudette Carbonneau «. Le nouveau président de la Centrale des syndicats nationaux (CSN), Louis Roy, n'est pas communiste pour autant. En fait, il connaît fort bien le poids des mots. Et il a décidé de se les réapproprier, quoi qu'en pensent les autres.

Il y a des dirigeants syndicaux qui se prélassent sur des yachts luxueux aux Bahamas. D'autres qui passent leurs vacances les pieds dans la boue, en pleine mousson, à écumer les quartiers populaires de Bhopal, en Inde.

Le nouveau président de la Centrale des syndicats nationaux (CSN), Louis Roy, est probablement le seul à se classer dans la seconde catégorie.

En 2009, il a pris congé pour documenter la lutte pour la justice des victimes de la plus grande catastrophe industrielle au monde: l'explosion de l'usine Union Carbide, survenue 25 ans plus tôt.

C'est sa conjointe, la conseillère syndicale (et ex-journaliste) Sylvie Joly, qui l'a convaincu de se transformer en caméraman, le temps d'un reportage à l'autre bout du monde.

«On a acheté une caméra, mais on ne savait même pas où était le bouton de mise en marche, raconte-t-elle. C'était vraiment petit budget. On voyageait en rickshaw, la caméra posée sur les genoux!»

Pas question de mêler la CSN à l'aventure. «Je ne voulais pas me soumettre aux diktats de l'organisation, explique Louis Roy. Je voulais être libre, mais cette liberté a eu un prix: ça nous a coûté 15 000$...»

Projet de fous? Peut-être. Mais personne n'aurait pu le faire changer d'idée. Louis Roy, 58 ans, est réputé pour sa tête dure. Brillant, éloquent, on dit aussi qu'il n'a pas la langue dans sa poche. Son style tranchera avec celui, plus doux, de Claudette Carbonneau, qui lui a passé le flambeau cette semaine.

La transition pourrait marquer le retour d'un certain syndicalisme de combat à la centrale, qui compte 300 000 membres.

«Peut-être reprochait-on à Claudette de ne pas utiliser de grands mots, mais c'était son style. Louis ne se laissera pas intimider. Il dira les choses telles qu'il les pensera», prédit Gérald Larose, ancien président de la CSN.

«Louis est plus tranchant dans ses opinions. Il a le verbe haut. Des débats animés, il va y en avoir plus d'un», ajoute Francine Lévesque, présidente de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS), affiliée à la centrale.

«Je n'ai pas la patience de Mme Carbonneau, admet Louis Roy. Ça fait 16 ans que je suis dans l'organisation; les gens savent que j'ai des coups de gueule.» Cela ne l'empêche pas de bien choisir ses mots. Il en connaît tout le pouvoir.

Passer le balai

Louis Roy est né à Parent, «en plein bois». Il n'avait pas 1 an quand son père, mécanicien au Canadien National, a été muté à Jonquière. C'est là qu'il a passé les 20 premières années de sa vie.

Il s'est ensuite exilé à Sherbrooke, où il a étudié en organisation communautaire, avant de s'installer pour de bon à Montréal.

En 1975, il a été recruté comme travailleur social au CLSC Hochelaga-Maisonneuve par un certain... Gérald Larose, qui était membre du comité d'embauche. «C'était un territoire extraordinaire d'innovations sociales, se souvient ce dernier. On était lâchés lousses dans le quartier pour mettre des organisations en place.»

Cela dit, Louis Roy est vite tombé dans la soupe du syndicalisme. À peine quelques mois après son embauche au CLSC, il était devenu agent de griefs du syndicat et siégeait au comité de négociations.

De là, il a gravi tous les échelons, de président de la FSSS (de 1994 à 2002) à vice-président de la CSN (de 2002 à 2011), jusqu'au sommet. Mais il n'a rien d'un ambitieux carriériste, assure Sylvie Joly.

«À la fin du premier Forum social québécois, en 2007, il a pris un balai pour faire le ménage au parc Émilie-Gamelin, à Montréal, raconte-t-elle. J'ai vu l'étonnement dans les yeux de certaines personnes, qui se disaient: «Qu'est-ce que c'est que ça, le vice-président de la CSN qui ramasse des papiers par terre?» Mais il est comme ça, Louis. Le syndicalisme, ce n'est pas sa carrière. Il s'implique parce qu'il veut changer les choses dans la société. S'il n'avait pas été élu, il serait redevenu organisateur communautaire.»

Héritier de Marcel Pepin

Il collabore au journal Alternatives, participe à chaque Forum social mondial, dénonce farouchement les partenariats public-privé, un de ses principaux chevaux de bataille. C'est clair: il loge à gauche. Bien à gauche.

«Je suis de la lignée socialiste mise de l'avant par Marcel Pepin, dit-il. Le mot «socialiste» a été galvaudé, surtout en Europe. Je suis de ceux qui pensent que l'État doit avoir un maximum d'emprise sur l'organisation de la société. Je parle toutefois d'un État moderne et fonctionnel. Il ne faut pas tomber non plus dans le socialisme d'État, où ce dernier décide tout pour les citoyens.»

Le syndicaliste a organisé des coups d'éclat, comme le blocage du pont Pierre-Laporte, qui avait provoqué un embouteillage monstre en 1999. Lucien Bouchard, premier ministre à l'époque, ne l'avait pas trouvé drôle. Il avait menacé de recourir à l'injonction contre les syndiqués en cas de récidive.

Plus tard, Louis Roy a coordonné les négociations du secteur public en 2005 et 2010. «C'est le chevalier défenseur des services publics», dit Francine Lévesque.

Du côté du gouvernement, on ne s'attend pas à ce qu'il révolutionne le genre.

«Il a une vision très traditionnelle du syndicalisme, regrette un observateur. Les PPP, ce n'est pas bon, tout ce qui tend à réviser les règles de travail, c'est la droite... Bref, il diabolise ce qui n'est pas maintien des droits acquis et des privilèges. L'enjeu, c'est pourtant la flexibilité du système de santé, de l'éducation et de la fonction publique, si on veut maintenir les services dans les prochaines années...»

De la récupération des mots

Dans son curriculum vitae, sur le site web de la CSN, Louis Roy parle du «camarade Marc Laviolette» et de la «camarade Claudette Carbonneau». Le terme n'est-il pas désespérément d'un autre âge?

«Oui, il y a une connotation communiste à ce mot, mais je pense qu'il faut se le réapproprier. Il n'y a pas de mot pour traduire la solidarité des gens qui travaillent ensemble, sauf celui de camarade. Ce mot a été récupéré par les bolcheviques, mais on ne peut pas abandonner les mots qui ont une réelle signification.»

La droite, aussi, a «volé» des mots à la gauche, poursuit-il. «Le mot liberté, par exemple, utilisé par Réseau liberté Québec (un groupe conservateur, NDLR). C'est de la récupération sémantique. Depuis 2000 ans, ce n'est pas la droite qui donne la liberté, c'est le peuple qui se bat pour se libérer des oppresseurs. Or, selon le Réseau liberté Québec, l'oppresseur, c'est l'État!»

L'utilisation des termes est importante. Quand on veut frapper l'imaginaire, on pèse ses mots», continue Louis Roy. Mais en cette ère de rectitude politique, le nouveau président de la CSN sait fort bien qu'il devra tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler.

«Aujourd'hui, si quelqu'un tape du poing sur la table lors d'une séance de négociations, on veut appeler la police! Je regrette, mais les relations du travail, ce sont des rapports de force. On aura beau vouloir civiliser la planète au sens étymologique du terme, il y aura toujours des rapports de force. Et ça fait des étincelles.»

Verbomoteur, Louis Roy? Généreux de ses mots, en tout cas. Il a un avis sur tout. Le Plan Nord? Une «ébauche» fort incomplète, mais qui a le mérite de planifier l'avenir. Le gouvernement majoritaire de Stephen Harper? Une «forme détournée de dictature», qui n'a pour objectif que de «passer quatre ans tranquille à Ottawa et adopter toutes les lois qu'elle veut»...

Il n'a pas vu venir la vague orange. Mais il ne se plaint pas de la victoire des troupes de Jack Layton au Québec. Ce que la CSN voulait, c'était barrer la route aux conservateurs, coûte que coûte. «Je ne pense pas que ce soit un virage vers la gauche, cela serait trop simple, admet-il. On a fait beaucoup d'éducation politique depuis 10 ans, mais je suis quand même réaliste, ce n'est pas l'influence de la CSN qui a fait élire le NPD!»

Bon, il y a bien Gérald Larose qui a pu nourrir le vote orange... Mais c'était bien involontaire, dit-il en riant. Un clin d'oeil à la tentative maladroite de son prédécesseur pour sauver les meubles du Bloc québécois en fin de campagne.

Facebook et Twitter

Ce n'est pas la première fois que Louis Roy tente sa chance à la présidence de la CSN. Il avait été candidat après le départ de Gérald Larose, en 1999. C'est Marc Laviolette qui l'avait emporté.

Claudette Carbonneau se souvient que, à l'époque, elle lui avait conseillé de continuer à faire ses classes. Au congrès annuel, il s'était présenté au micro, sérieux comme un pape. «J'ai une grosse révélation à faire au congrès», avait-il dit. Lourd silence dans la salle. «Mme Carbonneau a un autre enfant. C'est... le dossier des garderies!» Tout le monde avait éclaté de rire.

«Louis a beaucoup d'humour, parfois caustique, explique la présidente sortante. C'est un genre d'humour qui saisit les gens parce qu'il peut avoir l'air sévère, mais il est très drôle, il fait plein de calembours et de mots d'esprit.»

Les mots, encore.

Louis Roy les utilise, beaucoup, dans les médias sociaux. Il est présent sur Facebook et Twitter. Au cours des négociations du secteur public, il diffusait chaque jour «la minute de Louis» sur YouTube.

L'idée, c'est de rejoindre les jeunes, souvent peu intéressés par le mouvement syndical. Pour la CSN, c'est une question de survie. «Cela me préoccupe depuis 16 ans, dit-il. Les jeunes ne doivent pas se laisser impressionner par la hiérarchie et la bureaucratie. On n'est pas un business, on est un mouvement de militants, et il faut que ce soit l'appareil qui s'adapte au militantisme. Pas l'inverse.»

Un regard large

La semaine dernière, Gérard Deltell a reproché aux centrales syndicales de se mêler de ce qui ne les regarde pas. Le chef de l'ADQ devra s'y faire: ce n'est pas avec Louis Roy que la CSN cessera de se prononcer sur des enjeux de société.

Bien au contraire. «Louis n'est pas corporatiste, dit Gérald Larose. Il a un regard large et beaucoup de sensibilité sociale.»

Pour Louis Roy, c'est une évidence. «Les syndicats transforment leur environnement immédiat: l'usine, l'institution, le travail. Mais cela ne sert à rien s'ils ne s'occupent pas aussi de l'évolution de la société. Vous pouvez bien obtenir une augmentation de salaire de 10%, mais si vous êtes obligé de payer pour instruire vos enfants ou soigner vos parents malades, ça ne sert à rien. C'est comme laver le plancher du Titanic pendant qu'il coule...»

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LA CSN EN CHIFFRES

300 000 MEMBRES RÉPARTIS ÉGALEMENT ENTRE LES SECTEURS PUBLIC ET PRIVÉ

1700 SYNDICATS AFFILIÉS

4400 LIEUX DE TRAVAIL SYNDIQUÉS

9 FÉDÉRATIONS COMPOSENT LA CENTRALE

1921 ANNÉE DE FONDATION