Plus de 10 ans après les premiers cas publics, et au moment où les États-Unis s'apprêteraient à permettre aux membres homosexuels de l'armée de s'afficher, les Forces canadiennes ont officiellement incorporé la reconnaissance des transsexuels dans leurs directives administratives.

Le changement a été apporté le mois dernier, dans un manuel administratif de la Défense canadienne. Il prend la forme d'un nouveau chapitre, le chapitre 34, qui s'intitule «Gestion du personnel transsexuel des forces canadiennes».

On peut y lire qu'«un transsexuel est une personne qui a un besoin psychologique d'appartenir ou de s'identifier au sexe opposé et de vivre sa vie en tant que membre de ce sexe». Un «individu transsexuel» devrait s'attendre à ce qu'on le traite «avec un maximum de respect et confidentialité», ajoute-t-on.

«Un membre transsexuel devrait s'habiller de manière cohérente avec le sexe auquel il s'identifie», précise aussi la nouvelle section.

À la Défense nationale, mercredi, on a expliqué que ce changement reflète une pratique en cours depuis une dizaine d'années dans les Forces canadiennes, soit depuis l'émergence des premiers cas publics, vers la fin des années 90. «Avant, c'était géré au cas par cas. Maintenant, c'est formellement dit: voilà ce qu'on fait», a expliqué le capitaine de frégate Yvan Couture, à la tête du directorat des droits de la personne et de la diversité des Forces armées.

Par exemple, selon les nouvelles directives, un militaire qui souhaiterait porter un uniforme de femme et être reconnu comme telle devrait toujours passer par un processus potentiellement long et complexe, a indiqué le directeur. Ce processus implique des examens médicaux et psychologiques et une période de transition. Un changement de sexe médical ne serait toutefois pas obligatoire: selon les nouvelles directives, le terme transsexuel «peut aussi être utilisé pour décrire des gens qui, sans faire l'objet de traitements médicaux, s'identifient et vivent leur vie à temps plein» comme une personne de l'autre sexe.

«Bon exemple»

Le Conseil québécois des gais et lesbiennes applaudit cette initiative. «Les personnes transsexuelles sont très souvent discriminées dans le monde du travail. On ne peut que féliciter l'armée pour l'exemple qu'elle donne», a dit la directrice des communications, Julie-Maude Beauchesne.

Une coïncidence: à la Chambre des communes, mercredi, une mince majorité de députés a voté pour le projet de loi C-389 à l'étape du rapport. Ce projet vise à étendre aux personnes transgenres et transsexuelles les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne contre la discrimination. Le parrain du projet de loi, le député néo-démocrate Bill Siksay, a lui aussi applaudi la nouvelle. «C'est une bonne politique», a-t-il déclaré.

Ces directives détonnent avec ce qui se passe dans l'armée américaine, où l'on se demande encore que faire avec la loi qui interdit d'y être ouvertement homosexuel. Mercredi encore, le porte-parole de la Maison-Blanche a déclaré que cette loi, dite Don't ask, don't tell («ne rien demander, ne rien dire») était «très, très proche d'être abolie».

Mais même dans les Forces canadiennes, la nouvelle directive risque de ne pas faire l'unanimité. Le National Post, qui a rapporté la nouvelle mercredi matin, a évoqué les critiques potentielles de militaires qui se voient comme des «guerriers» et qui sont réticents aux mesures «politiquement correctes» d'un quartier général «déconnecté».

«Les gens ont peur du changement, croit le directeur Yvan Couture. Mais quand ils réalisent que du monde, ça reste du monde... Il y a des transsexuels qui ont passé à travers leurs opérations et qui servent encore dans les Forces. Oui, il y a un moment de choc et d'incompréhension. Mais après un bout de temps, c'est juste une autre personne dans le bureau.» Il n'a pu fournir de statistique.