Le gouvernement Harper a tenté jeudi d'imposer le bâillon - pour une deuxième fois - sur son projet de loi omnibus en matière de justice criminelle, afin de le faire adopter sans plus tarder et sans autres discussions.

Mais après que le Nouveau Parti démocratique (NPD) et le Parti libéral aient fait de l'obstruction pendant des heures pour empêcher le gouvernement de faire adopter son bâillon, les conservateurs ont finalement convenu d'un compromis.

Alors que le gouvernement voulait faire en sorte que l'étude article par article de C-10 - qui en compte 149 - soit réglée rapidement, en une seule journée, soit jeudi, il y aura finalement deux journées de prévues la semaine prochaine. Le temps alloué à chaque article sera plus long et les controversées dispositions sur les peines minimum prévues pour plusieurs crimes pourront être débattues sans limite, a expliqué un porte-parole du NPD.

Avec cette entente, l'étude devrait normalement être complétée mercredi et le projet de loi omnibus sera de retour en Chambre jeudi de la semaine prochaine pour la troisième lecture, tout juste avant le vote final.

L'opposition officielle néo-démocrate et le Parti libéral se sont déclarés satisfaits, puisqu'ils estiment avoir réussi à obtenir des concessions.

Jeudi, les critiques fusaient contre le gouvernement conservateur au sujet du bâillon qu'il voulait imposer. Le ministre de la Justice du Québec, Jean-Marc Fournier, s'était immédiatement insurgé en affirmant qu'un tel geste nuirait à la démocratie.

«C'est un pied de nez à la sécurité de la société», avait-il dit, lui qui s'était déplacé à Ottawa plus tôt ce mois-ci pour présenter les amendements qu'il souhaitait voir apporter au projet de loi fédéral.

Les députés d'opposition au comité trouvaient déraisonnable de mettre fin abruptement à l'étude de cet important projet de loi. Ils qualifiaient la tentative conservatrice de mesure «antidémocratique».

«Cinq minutes par clause, ce n'est pas un débat. Ça ne permet pas d'amener un argumentaire. (...) C'est ridicule», avait fait valoir la néo-démocrate Charmaine Borg au comité, précisant que cela limitait du même coup, voire empêchait la présentation des amendements suggérés par l'opposition, dont ceux du ministre Fournier qui avaient été mis sur la table par les partis d'opposition.

«En plus de faire la sourde oreille à toutes les demandes, le gouvernement empêche les parlementaires de faire leur travail en imposant le bâillon au sein des comités. Y-a-t-il plus antidémocratique?», avait ainsi soulevé la néo-démocrate Françoise Boivin en Chambre jeudi, avant l'entente conclue.

«Dans les faits, ils disent aux autres de se taire», s'était plus tôt indigné le chef intérimaire du Parti libéral, Bob Rae.

Il s'agissait en fait du second bâillon à être imposé à C-10. Les conservateurs avaient utilisé la même stratégie pour mettre fin au débat en seconde lecture du projet de loi et référer C-10 en quatrième vitesse au comité pour étude.

Le ministre de la Justice du Québec avait été choqué d'apprendre ce que le gouvernement fédéral tentait de faire.

«Je considère cela inacceptable, c'est un bris de démocratie. Aujourd'hui, on n'assiste pas à un geste «tough on crime', mais plutôt à un geste «tough on democracy»', avait lancé vers midi le ministre Fournier depuis Québec.

Le projet omnibus regroupe neuf projets de loi qui avaient été bloqués dans le passé par l'opposition - alors que le gouvernement Harper était minoritaire - ou qui sont morts au feuilleton avec le déclenchement des élections.

L'opposition avait au préalable tenté sans succès de scinder C-10 en différents projets de loi pour en approuver certaines portions rapidement, tout en continuant à étudier certaines dispositions qu'elle estime plus problématiques.

C-10 est une promesse électorale que les conservateurs avaient l'intention de tenir sans perdre de temps: le projet de loi a été déposé au lendemain de la rentrée parlementaire et le gouvernement avait dès lors indiqué son désir qu'il soit adopté avant la fin de l'année.

Le projet de loi C-10, surnommé «Projet de loi sur la sécurité des rues et des collectivités», prévoit notamment des peines de prison plus sévères pour les trafiquants de drogue et pour ceux qui commettent des agressions sexuelles sur des enfants. Il inclut des périodes d'incarcération plus longues pour les jeunes contrevenants violents.

Le gouvernement du Québec en a particulièrement contre les mesures visant les jeunes contrevenants, qui favoriseront la récidive, selon lui. De l'avis du ministre Fournier, le projet de loi des conservateurs ne se concentre que sur les solutions à court terme, ignorant la rééducation et la réadaptation des jeunes criminels.

Quant aux conservateurs, ils prétendaient qu'en élisant un gouvernement majoritaire, la majorité des Canadiens leur avaient justement donné pour mandat de durcir la justice criminelle. Ils soulignaient aussi que plusieurs de ces projets de loi avaient déjà été étudiés en comité dans le passé.