L'entrepreneur George Vretos, de Laval, a accepté de nous parler ouvertement de ce qu'il appelle le «système». Son entreprise Pella Construction est aujourd'hui acculée à la faillite parce qu'il dit avoir suivi les directives d'un homme d'affaires pour faire débloquer des projets.

Pendant quatre ans, l'homme aurait consenti à ce que les fonds bancaires garantis par le gouvernement fédéral transitent par son entreprise avant d'être rapidement transférés vers un tiers. Les transferts illicites concernent neuf dossiers de rénovation de restaurants et totalisent quelque 2,5 millions de dollars, soutient-il.

L'homme de 64 ans nous a fourni des états de compte bancaire et des copies de fausses factures concernant les deux tiers des sommes en cause. Les fausses factures ont été approuvées par la Banque Royale avant que les fonds soient transférés. L'essentiel de son témoignage sur le transit de fonds a été mis par écrit dans une déclaration sous serment et remise à La Presse.

George Vretos le reconnaît: il savait que ce qu'il faisait était illicite. Participer «au système» lui permettait toutefois d'obtenir sa part des contrats de rénovation dans une période difficile.

Aujourd'hui, l'entrepreneur général comprend avoir été la marionnette du groupe qui l'a entraîné dans cette affaire. Ce groupe est dirigé par l'homme d'affaires Peter Anastopoulos, dit-il, celui qui gère notamment le réseau de restaurants Eggstyle.

«J'ai été naïf. J'ai fait de grosses erreurs, mais je [n'en] connaissais pas l'impact», a-t-il dit au cours d'une entrevue à La Presse.

Taxes impayées

L'impact l'a frappé de plein fouet à l'automne 2010. Le fisc a passé ses affaires au crible et lui a réclamé près de 1 million de dollars de TPS et de TVQ impayées, en plus de 700 000$ d'intérêts et de pénalités, pour une facture globale de 1,7 million.

C'est que le fisc considère que les factures auraient dû être accompagnées d'un prélèvement de taxes de vente, comme c'est le cas de toutes les transactions. Or, M. Vretos dit n'avoir jamais collecté ces taxes, puisque son entreprise n'aurait fait que transférer les fonds vers le groupe d'Anastopoulos.

Son entreprise a réalisé une petite partie des travaux de rénovation justifiés par les factures, pour lesquels des taxes ont été prélevées. Pour le reste, c'est Peter Anastopoulos et ses associés qui contrôlaient l'argent et attribuaient les contrats aux sous-traitants, dit-il. C'est donc le groupe d'Anastopoulos qui a dû collecter l'essentiel des taxes, croit-il.

Incapable de payer les réclamations du fisc, George Vretos a dû mettre son entreprise sous la protection de la Loi sur les faillites. Il tente maintenant de s'entendre avec Revenu Québec. «J'ai fait cette erreur, d'accord, mais dois-je être puni si fortement? Je n'ai jamais eu l'argent qu'il réclame», dit-il.

Pour prouver ses dires, il nous montre des factures pour des travaux réalisés dans des restaurants Eggstyle de Laval et de Granby. Ces factures ont servi à justifier le décaissement d'un prêt de la Banque Royale garanti par Industrie Canada.

Par exemple, pour le restaurant de Laval, situé sur boulevard Le Corbusier, il a produit trois factures totalisant 396 137$ entre les 16 avril et 17 juin 2008. Les factures décrivent des travaux présumés réalisés par son entreprise Pella.

Or, contrairement à ce qu'indiquent les factures, Pella n'aurait réalisé que le quart des travaux, dit-il. Dès la réception des fonds, il en a transféré la presque totalité au groupe de Peter Anastopoulos, ne conservant que la partie liée à ses travaux, indiquent les copies de chèques qu'il nous a fournies.

Les factures soumises à la banque précisent que les travaux sont terminés, alors qu'une note de crédit, produite le même jour, indique qu'il retourne plutôt l'argent à Anastopoulos parce que les travaux seront faits par d'autres ou parce que les plans ont changé.

Une autre série de fausses factures semblables a été produite pour le restaurant Eggstyle rue principale, à Granby.

George Vretos dit qu'il s'agissait de vrais projets, dont les travaux ont été réalisés, au bout du compte. Il ne sait toutefois pas précisément comment le groupe d'Anastopoulos a dépensé l'argent. Le transit des fonds, «c'était une façon de faciliter le démarrage du projet, une façon d'obtenir l'argent plus rapidement pour démarrer [...]», dit-il.

«[Peter Anastopoulos] me disait que c'était une politique de la banque de verser les fonds à l'entrepreneur en construction. Il me demandait le transit [vers son organisation] pour contrôler l'argent.»

«Je n'ai jamais collecté toutes les taxes de vente que le gouvernement me réclame, ça, c'est certain. C'est impossible. Ils le savent, je leur ai dit où a été l'argent, mais ils continuent de me le réclamer à moi», dit-il.