Il n'y a pas si longtemps, 30 ans peut-être, réclamer de l'espace pour traverser les ponts montréalais en vélo relevait de l'excentricité.

Aujourd'hui, on peut difficilement penser à construire un nouveau pont sans prévoir de la place pour les bicyclettes, pour des transports en commun de type bus, train ou tramway.

La traversée à pied est même devenue une option plus que plausible à considérer, même pour un pont de la longueur de Champlain (6 km). «Pour moi, note le maire Gérald Tremblay, il est clair que ce pont doit inclure plusieurs modes de transport: transports en commun, marche, vélo...»

Oui, ajoute le maire, il faut qu'il y ait de la place pour les voitures et les camions, «mais pas toute la place».

«Il faut, résume l'architecte Gilles Saucier, que ce soit un point de convergence intermodal.»

Si le pont de l'Oresund ou le tunnel sous la Manche combinent efficacement les espaces pour les voitures, les camions et les trains, le pont nouveau devrait donc aller encore plus loin si on se dit que, dans 30 ans, marcher sera peut-être redevenu un moyen courant de traverser le fleuve. Le scénario n'est pas farfelu si on se dit que l'essence pourrait être devenue trop chère pour penser à traverser en voiture et l'exercice, lui, devenu une nécessité pour rester en santé.

D'ailleurs, si on regarde les projets de pont audacieux des dernières années, plusieurs sont des ponts pour les piétons, que ce soit ceux de Singapour présentés en pages 4-5 ou même le pont signé Santiago Calatrava que Calgary se prépare à inaugurer.

Plusieurs des projets présentés au concours par les étudiants se sont avancés sur cette piste.

Par exemple, celui qui fait le plus spectaculairement de la place à tous les modes de transport courants est celui de Christine Robitaille et Roxane Bouchard Fortier (page 3 photos n°1 et 2). Les étudiantes proposent de conserver l'ancienne structure, de construire un nouvel axe en parallèle et d'enlacer le tout - en ajoutant dans le méli-mélo l'estacade actuelle - avec une structure ondulante se baladant tout en courbes dans l'espace. Le but de cette rencontre complexe: permettre la cohabitation de plusieurs modes de transport sur différentes structures nouvelles et anciennes et aller chercher des interfaces nouvelles avec les rives que l'on veut remettre en valeur.

Pour plusieurs membres du jury, le rendu était trop confus pour être réellement adéquat, mais personne ne remettait en doute l'intérêt de jouer à multiplier les rôles de la construction.

Ensuite, dans la vision en coupe du document mis de l'avant par Raphaël Dionne et Éric Di-Méo (photo n°5), on voit très clairement, graphisme à l'appui, comment les étudiants ont fait de la place pour tout. Dans une nouvelle structure, il y a des tunnels pour les camions, de l'espace à découvert - donc avec vue - pour les voitures et les autobus. Dans l'ancien pont, que l'on conserverait, il y aurait aussi de la place pour des trains et de l'espace à découvrir à pied. Et une voie cyclable prendrait place entre les deux structures, l'ancienne et la nouvelle.

Dans le pont «Ricochets» proposé par Charles Lopez et Jérémie Aubry, on prévoit aussi des voies pour vélo, pour l'auto, pour le tramway (page 3 photo n°3). Dans le projet «Pont Champlain 3.0 Layton» - en hommage au défunt chef du Nouveau Parti démocratique -, on pense même à installer des belvédères ou points d'observation pour que les piétons puissent s'arrêter et admirer la vue vers le centre-ville, durant leur traversée du fleuve.

Anne Cormier a bien aimé que les concepteurs du projet «La bonne renommée» aient pensé à déposer une voie piétonne près de l'eau, dans un espace fermé mais avec des fenêtres de type «hublots», accentuant ainsi l'effet «bateau» du pont. Le maire Tremblay a aussi aimé que les auteurs aient tenu à intégrer de façon technique précise la présence d'un train léger. «On voit, dit-il, qu'il y a vraiment eu une recherche de solution.»

Dans le projet «Le grand sault» de Didier Beaudoin, Pierre-Charles Gauthier et Martin Tanguay (photo n°8), on prévoit même du ski de fond l'hiver sur le pont! Et rien de moins qu'un monorail suspendu sous la structure.

En conservant l'ancien pont, les auteurs du projet réorganisent les différents moyens de transport, gardant les plus légers pour le bâti d'origine récupéré et réaménagé.

Bref, les membres du jury ont aimé que plusieurs des participants se lancent sur la voie du multimodal.

Mais il reste maintenant, disent-ils, à faire encore plus de chemin dans ce sens pour que le multimodal rencontre le geste poétique...