La crue printanière du Richelieu est une catastrophe financière et morale pour les 2000 personnes inondées. À travers cette eau sale qui monte, descend et puis stagne, le pire, c'est de perdre sa maison, son refuge. De constater que le confort et la sécurité peuvent être anéantis du jour au lendemain. Le pire aussi, c'est l'impuissance. C'est en réalisant le désarroi et la fatigue des riverains que Michel Fecteau a décidé d'agir. On le surnomme le bulldozer. Une fois engagé, rien ne l'arrête. Qui est donc cet homme à la tête de la Grande Corvée, président de SOS Richelieu, et que La Presse et Radio-Canada nomment Personnalité de la semaine?

Il devrait être épuisé. «J'ai toute une équipe derrière moi», dit-il sans se plaindre et pour rendre hommage à ceux et celles qui s'engagent. Il n'empêche que depuis le début des inondations en mai, il a voulu, comme nous tous, faire quelque chose. Mais lui, il l'a fait en regroupant 3500 bénévoles qui ont répondu à son appel de solidarité. Ils ont mis leurs grandes bottes de caoutchouc, leur bonne humeur et leurs bras au service des sinistrés. Pour entreprendre le grand ménage, retirer les milliers de sacs de sable. Sa première grande victoire, en dépit des inquiétudes légitimes - «il y avait un risque majeur» - pour un événement sans précédent, a été de constater l'absence d'incidents graves. «Les gens ont vécu de belles choses.»

Il est bon d'être généreux et de savoir que les sinistrés présents voudraient bien embrasser les bénévoles, mais qu'ils n'en ont plus la force. «Ce qui m'a ému? Pas de couleurs, pas de races, pas de religions. Cela fait grandir de donner plus que de recevoir.»

Depuis toujours, il est sollicité pour réaliser des projets où il peut exercer son leadership naturel. Et depuis toujours, il répond présent. Michel Fecteau aura 62 ans en septembre. Directeur des ventes de Toyota à Saint-Jean, en février prochain il fêtera ses 25 ans de service au Club Lion. Chevalier de Colomb, il a aussi été nommé bénévole de l'année en 2010.

Mission

Une formidable énergie l'anime. «Ma force est morale. Pour moi, il faut que ça bouge! Mais que tout le monde se rassure, je ne signerai pas de chèque», dit-il sérieusement, pour mettre ainsi un terme aux rumeurs qui veulent entacher son intégrité. Il a la couenne dure. Son sens des responsabilités vient de très loin. Il porte son chapeau de «quêteux national» depuis près de 40 ans. Un rôle qu'il partage avec des chefs d'entreprise sollicités très souvent, par un gars qui prend le téléphone et demande: «Peux-tu peux m'aider?»

Les esseulés, les personnes âgées, les handicapés: il a toujours la main tendue. Il a récemment participé au Défi têtes rasées et dévoile fièrement son coco nu.

Il est né à Montréal à l'angle De Maisonneuve et Alexandre-de-Sève. «J'ai été confirmé par le cardinal Léger à l'église du Sacré-Coeur et je n'ai pas oublié la claque qu'il m'a donnée», dit-il en riant de bon coeur. Quatre filles et trois garçons forment la tribu d'un couple modeste qui se sépare. À 10 ans, Michel Fecteau vit en famille d'accueil à Saint-Alexis-des-Monts. Il serait trop long de raconter toutes les péripéties de son adolescence.

«Ma famille a connu beaucoup de difficultés. Ça m'a fouetté. Jeune, je livrais déjà des commandes d'épicerie avec une voiture à quatre roues et je développais mon sens des affaires.» Il ajoute: «Je faisais de petits travaux, y compris laver des planchers.» Comment vivait-il cela? «Je ne me suis pas rebellé, j'ai accepté mon sort. J'ai compris plus tard qu'on avait tous une mission.»

Les anges

Il croit aux anges. Le sien est nul autre que l'archange Gabriel qui le protège. Des exemples? En 1987, il a été victime d'un grave accident d'auto où il a failli perdre la vie. Il s'est relevé. Il a une compagne depuis 40 ans: «Et je suis plus amoureux que jamais.» Il est père de deux fils.

«Je sais que quelque chose existe de plus grand que nous. J'aime la nature, marcher pieds nus, m'occuper de plantes, de fleurs, elles sont la vie. Vous savez qu'on peut leur parler, aux plantes... Et j'aime les soirs imprégnés de leur odeur. Je fais le vide.»

C'est aussi bien, car du travail l'attend encore. Il va y avoir de nombreuses choses à changer dans le cadre de l'après-inondation. Comprendre d'abord ce qui s'est passé. Éduquer les citoyens au respect de la nature, des écosystèmes. C'est à venir. «D'ici là, dit-il avec émotion, venez voir cette merveilleuse rivière, d'une des plus belles régions du Québec.»