Dominic Champagne a longtemps carburé au cynisme avant de découvrir une énergie plus puissante, renouvelable et bonne pour son environnement mental: l'indignation. Ce militantisme récent, il le doit à un sentiment d'urgence et à une discussion avec un certain Yvon Deschamps... Rencontre avec le metteur en scène du mouvement populaire du 22 avril.

Lundi, dans l'un des locaux du Chat des artistes, rue Parthenais, Dominic Champagne surveille, entre deux coups de fil, le tournage d'une capsule avec Claude Béland, l'ancien président du Mouvement Desjardins. Une quarantaine de personnalités ont déjà accepté de répondre sur vidéo à l'appel de Champagne, qui invite la population à marcher dans les rues de Montréal le 22 avril pour le Jour de la Terre, afin de signifier au gouvernement que les citoyens veulent être consultés quant à l'exploitation de nos ressources naturelles. La petite équipe de production travaille bénévolement. Aucune subvention ni aucun commanditaire ne soutient ce projet. Entre autres parce que Dominic Champagne veut conserver sa liberté de parole. «C'est une corvée bénévole et fraternelle», lance-t-il pour encourager les troupes. Il s'enthousiasme aux propos de Béland, qui évoque la solidarité collective à l'origine du Québec moderne. Un peu plus tard, ce sera au tour de Richard Desjardins de passer devant la caméra.

Dominic Champagne dit travailler plus de 100 heures par semaine pour faire du 22 avril une réussite. Il multiplie les interventions médiatiques, coordonne les activités de promotion, se documente sur les dossiers, rencontre la Ville de Montréal pour discuter du parcours de la marche, et cela, tout en dirigeant les répétitions des pièces Tout ça m'assassine et Le Boss est mort qui reprennent l'affiche.

Quel est le profit d'une telle dépense d'énergie? Ça lui coûte plutôt en argent et en temps. «Mais une chose que je constate, c'est que s'engager, ça rend heureux. J'ai rencontré toutes sortes de gens extraordinaires que je n'aurais pas rencontrés autrement.»

Et ce «détail» qu'il a remarqué: chaque fois qu'il fait des apparitions médiatiques pour parler du gaz de schiste, des publicités sur les sables bitumineux ou l'exploration minière sont judicieusement placées avant ou après ses interventions. «Ça veut peut-être dire qu'on les dérange, non?»

L'épiphanie

Dominic Champagne l'admet, son implication sociale est tardive. «Je m'étais toujours dit que mon engagement, c'était dans mes shows, mon art.» Mais une conjoncture d'événements l'ont mené à une «épiphanie». Lui qui se considère comme un «rat des villes» a vu débarquer les projets du gaz de schiste dans la région où il a une maison de campagne, et estime «avoir vu l'arrogance des puissants, prêts à tout pour s'approprier les ressources».

«Les entreprises obéissent avant tout à l'obligation d'un rendement, d'un dividende pour leurs actionnaires, pas au bonheur des citoyens. C'est pourquoi je dis que c'est un enjeu important pour tous.»

Il y a eu aussi cette discussion avec Yvon Deschamps, qui s'est toujours investi dans beaucoup de causes. «Yvon m'a dit très simplement: "On s'est beaucoup servi de moi." Ça m'a frappé. Il me racontait que sa mère lui avait demandé à quoi il allait être utile dans la vie, et ça le terrorisait. Lorsqu'il a eu du succès, on s'est mis à l'appeler pour Oxfam, les femmes battues, les pauvres... et il a toujours dit oui.»

Enfin, il y a eu l'annonce du retrait du Canada de Kyoto qui n'a suscité pratiquement aucune réaction dans la population. «Sur la Place du Canada, il n'y avait que 200 personnes, dont Stéphane Dion, le père de Kyoto, tout seul, ce qui rajoutait au pathétisme de la chose. Je me suis dit: nous avons un problème.»

Dominic Champagne avait reçu une offre pour tourner un film sur un bateau qui allait pratiquement faire le tour du monde. Mais c'est l'envie de mettre en scène une mobilisation générale pour nos ressources qui l'a emporté.

The Show Must Go On?

On ne se gargarise pas seulement d'idéaux quand on veut s'engager, il faut aussi se farcir bien des études. Pendant des heures, Dominic Champagne nous entretient de ce qu'il a appris au contact des écologistes, spécialistes et militants. S'ils sont là, alors pourquoi s'impliquer, lui, le metteur en scène, le dramaturge? «Parce qu'il existe une sorte d'éco-fatigue, répond-il. On a fini par nous faire croire que ce sont des barbus fatigants, on ne les écoute plus. Il faut aider ces gens-là. Le gouvernement Harper est en train de couper leurs subventions, dans la recherche scientifique, dans le ministère de l'Environnement, pour ne pas avoir de bâtons dans les roues du développement économique à tout prix.»

Voilà où le rayonnement médiatique de l'artiste peut servir. «On reproche souvent aux artistes de ne pas se mêler de leurs affaires, de s'associer à des causes dont ils ne sont pas des experts. Mais ce que je découvre, c'est que les artistes sont aussi, pour la grande majorité, des êtres libres. Ils parlent pour ceux qui ne le sont pas. Et pas besoin d'être un expert pour défendre des principes. L'artiste est aussi un citoyen comme tout le monde. Félix Leclerc disait dans un spectacle une phrase qui m'est toujours restée: «En se retirant dans sa tour d'ivoire, l'artiste risque d'abandonner le monde aux mains de mercenaires, de nullités, sinon de fous.» Je pense qu'il y a des mercenaires qui sont à l'oeuvre.»

Dominic Champagne insiste pour dire qu'il n'est pas contre l'exploitation des ressources naturelles, mais que nous sommes à l'heure de choix importants sur la façon dont le Québec va orienter son avenir. «Je suis metteur en scène. Je ne veux pas me présenter comme un spécialiste. Mais il y a une chose sur laquelle je n'ai pas de doute, c'est la valeur de la remise en question de notre rapport à notre développement. Ne prenons pas les voies faciles du développement économique à tout prix, exploitons nos ressources avec intelligence, respect du bien commun et sensibilité pour les générations futures.»

Pour avoir vu la «petite mafia québécoise» des spectacles de Las Vegas à l'oeuvre, le metteur en scène de Love croit à la force et au talent de notre collectivité. «Soyons exigeants envers nous-mêmes! Nous sommes capables de mieux! La réflexion est commencée et elle ne s'arrêtera pas là. Je sens que si le gouvernement se fait le complice de l'industrie et qu'il laisse aller les choses sans faire son job de protecteur du citoyen, ça va se radicaliser. Je suis persuadé que nous allons gagner la bataille du gaz de schiste.»