C'est sans doute l'un des projets les plus curieux de cette programmation du FTA. Le groupe belge appelé Berlin poursuit son cycle sur les portraits de villes avec Bonanza, du nom de la plus petite ville du Colorado, dont la population compte sept habitants répartis dans cinq maisons.

Dès la fin de leur formation dans une école de théâtre, les Flamands Yves Degrise et Bart Baele ont imaginé ce projet un peu fou, consistant à faire des portraits de villes, avec l'idée, un jour, de réunir à Berlin tous les habitants rencontrés au fil des ans (d'où le nom de leur compagnie) pour un docufiction.

Portraits sociologiques, humanistes. Ils ont commencé par Jérusalem. Ont suivi avec Moscou, Iqaluit et Bonanza. Et poursuivront avec Tchernobyl et Lisbonne.

Chaque fois, le projet s'étire sur environ un an, incluant une longue période de recherche, suivie d'un séjour de plus ou moins deux mois. La forme priviliégiée par les créateurs: des installations vidéo, avec projections multiples. Et de la musique dans certains cas. Il n'y a, pour ainsi dire, jamais d'acteur sur scène. Mais pour eux, ça reste du théâtre. Du théâtre documentaire.

Dans le cas de Bonanza, c'est un ami à eux qui a déniché sur un plan cette ancienne ville minière du Colorado, qui comptait jadis plus de 6000 habitants. Intrigué par le nom de la ville, rappelant la célèbre série américaine du même nom (diffusée dans les années 60), il s'est rendu sur place et fait la découverte de cette ville fantôme, qui ne comptait plus qu'une poignée d'habitants.

«Après avoir bien étudié le sujet, nous nous sommes rendus là-bas, raconte Yves Degrise au cours d'un entretien téléphonique. Avec la permission des habitants, on a commencé à les filmer, individuellement. On s'est rendu compte qu'ils n'avaient aucun contact entre eux, qu'ils ne s'aimaient pas. S'accusaient de toutes sortes de choses. Y en a même un qui était persuadé qu'une des femmes était une sorcière...»

Qui sont donc ces drôles de bibittes? Un prêtre, un couple lesbien new age, un fervent catholique pompier, une peintre et conseillère spirituelle (la sorcière) et un vieux couple à la retraite, tous deux morts d'un cancer depuis. Ce qui a réduit la population à cinq personnes! «Tous avaient choisi Bonanza pour vivre seuls. Il n'est donc pas étonnant qu'ils n'aient pas cherché à tisser des liens», précise Yves Degrise.

Le collectif Berlin a donc disposé sur scène cinq écrans qui dominent une maquette de la ville et qui relaient ce qui se passe à l'intérieur des cinq maisons habitées. Avec, bien sûr, des entretiens avec chacun des personnages. «Cette technique nous permet de voir un des personnages qui lit dans son fauteuil et, en même temps, d'écouter son voisin qui parle justement de lui.»

Un des nombreux litiges mentionnés dans ce docuthéâtre, est lié à la mairesse de la ville, qui n'habite pas à Bonanza. Selon une des habitantes, elle-même ex-mairesse de la ville, cette femme ne peut représenter ses électeurs de l'extérieur de la ville. Ils ne veulent pas avoir de relations entre eux, mais ils exigent que la mairesse soit présente!

Pourtant, il n'y a rien dans cette ville apparemment très jolie et très calme encerclée de montagnes. Ni eau courante, ni marché, ni magasin, ni station-service, rien. Seulement quelques maisons, celles des habitants permanents et quelques autres qui servent de résidence secondaire. Il faut se rendre à Villa Grove, à 35 minutes de là, pour avoir accès à des services.

«C'est vrai, ce sont des débats très bizarres. Selon ces habitants, nous dit Yves Degrise, ils seraient un microcosme de notre monde. Dans le caractère compliqué de leurs relations. Un des habitants a vu le spectacle à deux reprises. Après la première représentation, il m'a dit, je vais essayer de réunir les gens, de changer les choses un peu. Après la deuxième représentation, il m'a dit: Fuck them, ils ne valent pas la peine. Je vais déménager.»

Aux dernières nouvelles, il y vivait toujours.

Bonanza, du 27 au 29 mai au Monument-National.