Fan fini de foot et surtout de l'équipe de l'Argentine, Emir Kusturica mettra en veilleuse sa déception face à la défaite des protégés de Maradona pour servir au public montréalais les rythmes tziganes de son No Smoking Orchestra. Pour le concert extérieur de ce soir, il promet une «explosion d'énergie».

«Je suis effondré», soupire Emir Kusturica, qu'on a joint dans un hôtel à Toronto après avoir passé la semaine à l'avoir au bout du fil quelques secondes chaque fois, à Istanbul, à Paris et on ne sait où encore. «Pardon, je dois y aller, j'ai un concert» était sa meilleure excuse. Au moins deux fois, il avait effectivement un concert... mais de vuvuzelas.

Donc, le fan fini de foot a le coeur brisé. L'Argentine, expulsée du Mondial par les Allemands ! Son héros et ami, Maradona - à qui il a consacré un documentaire il y a deux ans - ne touchera pas au trophée d'or cet été.

«Je ne peux pas le croire, enchaîne-t-il. Tu sais, la Serbie a déjà battu l'Allemagne au Mondial, pour ensuite se faire battre par l'Australie. C'est la même histoire : l'Argentine battait tout le monde avant de se faire avoir par l'Allemagne. Ça se résume aux stratégies. Il faut bien l'admettre, l'Allemagne a joué à la perfection depuis le début. Pour l'Argentine, ce n'est pas un si bon score de se faire battre avant la demi-finale...»

En dépit du drame, il faudra fêter, ce que Kusturica promet de faire ce soir, sur la place des Festivals, avec le No Smoking Orchestra, légendaire groupe (dans sa Serbie, d'abord) de punk-rock tzigane auquel il s'est joint au milieu des années 80 : «Ce sera l'explosion d'énergie !» dit-il en retrouvant son enthousiasme.

La petite histoire veut que le réalisateur ait intégré le groupe pour oublier la pression de sa première Palme d'or, en 1985. «Un très bon journaliste serbe a déjà écrit : "Ce gars prend toutes les bonnes décisions pour nuire à son image" en se joignant à un groupe rock !» rappelle-t-il.

«Pourquoi l'ai-je fait ? Pour ne pas que le groupe, le plus important de la Serbie, tombe dans l'oubli. Il y a eu cet incident autour du chanteur à l'époque, qui avait fait des blagues sur le maréchal Tito à son décès, ça avait été très mal perçu. En fait, il faisait un jeu de mots ironique avec le nom de son ampli (un Marshall). Je voulais donc aider le groupe, grâce à ma notoriété. Tu sais, à l'époque, c'était encore dangereux de jouer avec ce groupe.»

Revendicateur, le No Smoking Orchestra de l'époque s'inspirait du mouvement punk pour diffuser une musique endiablée, moderne mais évoquant les traditions musicales du pays, qui rejoignait la jeunesse serbe.

«Aujourd'hui, la raison d'être du groupe, c'est un effort désespéré pour rassembler les gens, explique le cinéaste. Dans de grands pays comme les États-Unis ou le Canada, on parle beaucoup du multiculturalisme et de l'ouverture au monde, alors qu'au fond, on est en train de tuer cette idée. Nous, on fait notre possible pour proposer quelque chose d'excitant, mais qui vient d'ailleurs.»

Sa musique, son cinéma, le Mondial de foot : même combat. «Les Serbes et les Argentins ont beaucoup en commun, croit-il. Les deux peuples sont très anti-impérialistes, ils ont vécu des situations politiques similaires, ce qui les rend très spéciaux. De plus, ils ont tous deux des moeurs très païennes, carnavalesques, dans leur façon de s'exprimer.»

Nous en prendrons la pleine mesure ce soir, alors que la fête qui caractérise les rythmes gitans enivrera la foule, même ceux qui pleurent encore la défaite de leur équipe favorite.