Le Groupe de travail sur le journalisme et l'avenir de l'information au Québec a rendu publiques les conclusions de ses travaux. Au total, il fait 51 recommandations, dont la principale est l'adoption d'une loi reconnaissant le statut de journaliste professionnel. Cette loi accorderait des avantages fiscaux aux entreprises qui embauchent des journalistes détenteurs du titre qui deviendrait, souhaite-t-on, un sceau de qualité aux yeux du public. Le rapport propose en outre des mesures pour enrichir la diversité des voix médiatiques en région, renforcer la déontologie et éduquer les jeunes aux médias. Entretien avec la présidente du groupe, Dominique Payette, ancienne journaliste aujourd'hui professeure au département d'information et de communication de l'Université Laval.

Q: Vous proposez l'adoption d'une loi qui reconnaîtrait le statut de journaliste professionnel. N'est-ce pas un peu idéaliste de croire que cela va régler les problèmes des médias au Québec?

R: Au contraire, c'est une approche très pragmatique. On a décidé d'employer le langage de l'argent parce que c'est celui des entreprises de presse. On leur offre donc un crédit d'impôt de 40% à l'embauche d'un journaliste qui possède le titre professionnel et qui, donc, répond à certains critères. Ces critères devront être établis par les journalistes eux-mêmes. Autre proposition: seules les entreprises de presse reconnues par le Conseil de presse du Québec auraient droit aux revenus de la publicité gouvernementale, une enveloppe d'environ 82 millions de dollars. Nous pensons que cette mesure incitative va convaincre les entreprises. Cela dit, on ne prétend pas qu'un statut professionnel va tout régler. Mais il va certainement contribuer à augmenter la qualité du journalisme pratiqué au Québec puisque les journalistes professionnels devront se conformer à un code de déontologie unique.

Q: Que répondez-vous à ceux qui estiment que de grands groupes comme Quebecor ou Gesca n'ont pas besoin d'une aide financière du gouvernement?

R: Il ne faut pas voir cela comme une subvention aux entreprises privées mais plutôt comme une mesure pour les aider à réaliser leur mission, qui est de maintenir une information d'intérêt public de qualité. Il faut sortir de Montréal et de Québec pour voir à quel point la situation des journalistes est difficile. Dans certaines régions, le même journaliste prépare un reportage pour trois médias différents. Si un hebdomadaire régional bénéficie de crédits d'impôt qui lui permettent d'embaucher trois journalistes professionnels plutôt qu'un, cela incitera peut-être son concurrent à faire de même. Pour s'assurer que la subvention va bien à l'amélioration de la qualité de l'information et non à la promotion ou à la distribution du média, il faut une garantie que le journaliste embauché répond à certains critères. Le statut professionnel viendrait donc encadrer ces critères tout en accordant des avantages aux journalistes, comme la protection de leurs sources, par exemple.

Q: Ne risque-t-on pas de créer une pratique journalistique à deux vitesses: d'un côté, les journalistes détenteurs d'un titre professionnel et, de l'autre, ceux qui ne sont pas assujettis à un code de déontologie?

R: C'est déjà le cas à l'heure actuelle. Il existe deux catégories de journalistes: d'un côté, ceux qui travaillent dans des entreprises de presse, avec de bonnes conditions et des règles strictes en déontologie, et, de l'autre, des journalistes souvent contractuels au service de médias à l'éthique élastique qui doivent accepter des affectations qui ne correspondent pas toujours aux normes journalistiques. Les journalistes sont inquiets de cette situation et souhaitent que le même code de déontologie s'applique à tous les journalistes, peu importe l'employeur.

Q: À l'heure actuelle, le groupe Quebecor s'est retiré du Conseil de presse et impose aux pigistes des contrats dans lesquels il leur demande de céder presque tous leurs droits. En outre, les responsables de Quebecor ont refusé de vous rencontrer dans le cadre de vos travaux. Croyez-vous sincèrement qu'ils adhéreront aux mesures que vous proposez?

R: Je crois qu'ils verront les avantages. Mais pour en être certains, nous suggérons de refaire le point trois ans après l'adoption d'un statut professionnel. Si les entreprises qui n'ont pas adhéré contreviennent aux règles déontologiques, alors il faudrait adopter une loi pour les obliger à s'y conformer. Cela dit, en aucun cas nous ne proposons que l'État s'immisce dans la profession et la pratique journalistiques. C'est aux journalistes, par l'entremise de la FPJQ, par exemple, que reviendra la tâche d'établir les critères qui définiront le statut de journaliste professionnel ainsi que la responsabilité d'accorder une carte de presse.

Pour consulter le rapport: www.etatdelinfo.qc.ca