Il a photographié Billie Holiday dans sa cuisine, Louis Armstrong dans les coulisses, Dexter Gordon dans un nuage de fumée et Miles Davis un mois avant sa mort.

Dire que Herman Leonard, 83 ans, est une légende vivante n'est pas exagéré. Ses clichés de jazzmen ne sont pas seulement célèbres, ils appartiennent quasiment au domaine public, étant régulièrement reproduits sur des affiches, des jaquettes de livres, des pochettes de disques et même des t-shirts.

 

Étrangement, l'essentiel de sa période «jazz» n'aura duré qu'une quinzaine d'années, s'échelonnant principalement entre 1948 et 1965. «Il fallait bien vivre», raconte celui qui deviendra ensuite photographe de mode, de pub et, surtout, correspondant en Europe pour le magazine Playboy.

Pointe visible d'une carrière monumentale, elle demeure toutefois pour lui la quintessence de son oeuvre. «C'est le seul travail par lequel je me sois vraiment démarqué», dit-il aujourd'hui, en toute lucidité. «J'ai eu la chance d'être là à une époque où les photographes de jazz étaient rares. J'avais accès aux musiciens. Pour eux, chaque cliché était un événement.»

Bonne nouvelle: la Maison du jazz expose, à compter du 22 octobre, une quarantaine de clichés pris au fil des ans par le réputé photographe. Pour La Presse, il en commente quelques-unes.

Billie Holiday, Angel with Smoke, New York 1949

«Je travaillais pour le magazine Ebony. Je suis allé à son appartement avec un journaliste. Je ne l'avais jamais rencontrée. Quand elle nous a ouvert la porte, avec son tablier de cuisine, j'ai pensé que c'était la bonne! Elle nous a reçus gentiment dans son appartement très modeste. On a pris quelques photos aux fourneaux avec son chien. Ensuite on a traversé la rue, il y avait un club de jazz juste en face. Je la voulais au micro. C'était l'après-midi. Il n'y avait personne. J'ai pris une demi-douzaine de photos et c'était réglé.

Je la trouve assez heureuse sur cette photo. Elle venait de passer six mois en prison. Elle était clean. D'où le reportage pour Ebony. Quand je l'ai revue en 1955, elle était beaucoup moins en santé. Elle était triste.

La fumée de cigarette? Je ne savais pas à l'époque qu'elle était si importante. Je le réalise aujourd'hui. C'est elle qui donne le mouvement. La façon dont j'utilisais la lumière accentuait ce côté dramatique. Je suis content de l'avoir fait. Mais je me sens mal pour les musiciens qui sont morts du cancer du poumon!»

 

Photo Herman Leonard Photography LLC

Billie Holiday, Angel with Smoke, New York 1949

Art Tatum, Portrait, Los Angeles, 1955«J'avais été envoyé par les disques Verve pour faire une pochette de disque. Nous sommes allés chez lui. C'est très difficile de prendre des photos de pianistes originales. On est limités. Dans ce cas-ci, je voulais ses mains. C'est là qu'était son génie. Il était aveugle. Je ne voulais pas qu'il fixe la caméra. Un de ses yeux était très grand, l'autre tout petit. Ce n'était pas très attirant. Alors je lui ai demandé de baisser les yeux sur son clavier.»

Photo Herman Leonard Photography LLC

Art Tatum, Portrait, Los Angeles, 1955

Miles Davis, Montreux, 1991«Celle-ci, j'en suis particulièrement fier. Elle a été prise pendant une répétition à Montreux. Il n'y a pas d'instrument. Seulement son visage. On sent l'angoisse dans ses yeux. Il était malade, il le savait. Il savait qu'il allait mourir. C'est ce qui rend cette photo particulièrement puissante...»

L'exposition Herman Leonard est présentée à la Galerie Lounge de la Maison du Festival de jazz à compter du 21 octobre, 305, rue Sainte-Catherine Ouest, 2e étage.

Photo Herman Leonard Photography LLC

Miles Davis, Montreux, 1991