Le 13e gala de l'organisme Femmes du cinéma, de la télévision et des nouveaux médias met en lumière le travail de six personnalités fortes du milieu. Notre journaliste André Duchesne leur a parlé.

ANDRÉ-LINE BEAUPARLANT

PRIX EXCELLENCE

Atténuer les inégalités

André-Line Beauparlant a peine à s'expliquer ce qui a pu lui valoir le prix de la catégorie «Excellence» du gala Femmes du cinéma, de la télévision et des nouveaux médias (FCTNM). «C'est probablement pour le film Incendies», avance avec humilité la directrice artistique du film de Denis Villeneuve.

Sa feuille de route est impressionnante. À titre de directrice artistique, elle a travaillé avec Villeneuve, Robert Morin, Louis Bélanger, Stéphane Lafleur et bien d'autres. Elle collaborera au prochain long métrage d'Anaïs Barbeau-Lavalette, Inch'Allah. Entre deux films signés par d'autres, elle fait ses propres documentaires.

«Le plus intéressant dans mon métier, ce sont les rencontres, dit-elle. La matière première de mon travail, c'est le scénario. J'essaie d'inventer et de bâtir un univers à partir des textes des scénaristes et des réalisateurs.»

Elle est bien sûr très heureuse de recevoir ce prix, mais en même temps un peu triste. «Triste de savoir que nous sommes encore obligés de donner des prix pour les femmes. Si on fait cela, c'est parce que nous ne sommes pas encore à la même place, parce que nous n'avons pas encore les mêmes postes que les hommes.»

En même temps, elle trouve l'exercice fort utile. «Tant mieux si on parle des femmes, tant mieux si, à force d'en parler, on amincit la différence entre les hommes et les femmes.»

Photo: André Pichette, La Presse

André-Line Beauparlant

ÉLISE GUILBAULT

PRIX COMÉDIENNE

Penser à soi, penser aux autres

Parler métier avec Élise Guilbault est fascinant. Le regard qu'elle porte sur son travail est tendre et élaboré, témoin d'un quart de siècle d'innombrables rôles qui ont forgé sa pensée.

«Ma grande chance et mon privilège depuis 25 ans auront été d'avoir gagné ma vie en interprétant des rôles, dit-elle. Ce prix a une grande résonance pour moi, car j'ai joui d'un métier que j'ai choisi, que j'ai aimé et que j'aime.»

Pour être interprète, il faut posséder «une connaissance aiguisée de sa personnalité», dit-elle, tout en étant doté d'une grande ouverture aux autres. «On doit savoir ce que l'on représente dans tel ou tel état, dit-elle à propos de la connaissance de soi. Je dois savoir par exemple si mon faciès, ma morphologie, expriment exactement le sentiment exprimé.»

Quant à l'ouverture aux autres, elle passe par l'incarnation entière du personnage. «Qu'elles soient très en colère ou infiniment douces, psychopathes ou en religion, toutes ces femmes doivent être considérées avec beaucoup de respect, dit-elle. Non seulement parce qu'on les fait vivre, mais aussi parce qu'elles ont quelque chose à dire, soit pour animer une histoire, soit pour faire réfléchir un public.»

Du gala FCTNM, elle dit: «Ça nous rappelle qu'il y a des femmes qui ont une influence sur le roulement de notre culture. Elles ont des responsabilités et des postes extrêmement importants. Ce sont des salvatrices, des fonceuses».

Photo: Robert Mailloux, archives La Presse

Élise Guilbault

CLAIRE DION

PRIX DES NOUVEAUX MÉDIAS

La qualité du contenu avant tout

Claire Dion avait mené une carrière bien remplie dans les médias traditionnels lorsqu'elle a pris les rênes du fonds Bell en 1997. Ce fonds privé était destiné à des projets de convergence, bien avant tout le monde.

«Recevoir ce prix avec mon parcours dans les médias traditionnels me fait donc extrêmement plaisir», affirme la lauréate.

Par convergence, on entend des projets artistiques qui se déclinent sur plusieurs plateformes. L'exemple le plus évident étant des émissions diffusées à la télé avec un pendant internet (Mixmania2, Le sexe autour du monde, Kaboom). Ajoutez à cela une adresse dans les médias sociaux et vous êtes dans la convergence jusqu'au cou.

«Le fonds Bell était très précurseur, mais, au départ, c'était nébuleux, concède Mme Dion. On cherchait un peu que faire avec ça. Mais j'ai eu la chance de côtoyer des jeunes, ce qui fut très stimulant. J'ai vu de nouvelles occasions, de nouveaux champs, de nouvelles façons de traiter des contenus.»

Ah! Les contenus. Elle ne jure que par cela! «Tout ce qui m'importe est la qualité du contenu, dit-elle. C'est beau, les technologies, mais il faut avoir des produits de qualité, même si ce sont des produits de divertissement.»

Ce gala est important à ses yeux, car «il permet aux femmes honorées et aux autres de se faire connaître à l'extérieur de leur industrie».

Photo fournie par Ixion Communications

Claire Dion

MONIQUE SIMARD

PRIX PRODUCTRICE

»Le cinéma, c'est le ravissement»

Directrice du programme français de l'ONF, Monique Simard a une définition toute simple du cinéma: «C'est le ravissement», dit-elle.

Elle se rappelle sa première expérience cinématographique, lorsque son grand-père l'a amenée, enfant, voir Le tour du monde en 80 jours. «J'étais émerveillée. Je suis encore capable de vous parler du film scène par scène.»

Syndicaliste, politicienne, femme d'action, Monique Simard n'est pas arrivée les mains vides en production en 1997. «J'avais acquis l'expérience de négocier des situations complexes, de m'adapter, de connaître beaucoup de gens et de faire des compromis sans perdre le sens de ce que je voulais réaliser.»

Son passé l'a amenée à produire plusieurs documentaires sur la situation des femmes. «J'ai toujours eu un engagement particulier à leur égard. Lorsque je suis arrivée à la CSN, en 1972, les lois d'égalité salariale et les congés de maternité n'existaient pas. Indignée, je me suis engagée à fond. C'est toujours resté.»

Au cinéma, les femmes ont fait des progrès immenses, dit-elle. Elles ont quitté les emplois de service pour investir des champs telles la production, la scénarisation, la direction, etc. Mais elles demeurent sous-représentées dans trois secteurs de réalisation: la publicité, les «séries lourdes» et les longs métrages à gros budget.

«Pourtant, dans les écoles de cinéma, elles sont aussi nombreuses que les hommes, constate Mme Simard. Il serait intéressant de savoir ce qui se passe dans l'esprit de chacun au moment de faire un choix de carrière.» Voilà un beau sujet de documentaire!

Photo fournie par l'ONF

Monique Simard

ZÉNAÏDE LUSSIER

PRIX INDUSTRIE

Fascinée par la création

Elle n'est ni comédienne ni réalisatrice ni technicienne ou directrice photo. Mais Zénaïde Lussier est peut-être la personne dont le nom apparaît le plus souvent au générique de films québécois, dit-on.

C'est que Mme Lussier, avocate de profession, revoit les contenus de nombreux films, documentaires ou films de fiction, avant qu'ils ne soient soumis au public. Pour des questions éminemment juridiques!

Une règle bien simple veut que les producteurs contractnet des assurances en amorçant un coûteux projet de film. Mais avant d'accorder des polices, les assureurs veulent connaître toutes les incidences juridiques du film. Certaines affirmations peuvent-elles conduire à des poursuites? Les droits d'auteur et de propriété sont-ils respectés? D'où l'intervention de Me Lussier.

Même si elle est dans le milieu depuis 1978, sa voix trahit encore une pointe d'étonnement face à la magie des images et des histoires. «Je lis les scénarios bien avant de voir le film. Et ça me fascine, dit-elle. Je vois littéralement les films se créer sous mes yeux. Parfois, je vois deux ou trois montages différents d'un même film, qui n'est jamais le même!»

Elle ne cache pas sa joie d'obtenir cette reconnaissance d'une industrie à laquelle elle ne s'associe pas d'emblée. «Ce qui me fait plaisir, c'est de me faire dire que je fais partie de la gang, lance-t-elle. Ce travail est périphérique à la création d'un film et souvent, nous sommes considérés comme un mal nécessaire.»

Photo fournie par Ixion Communications

Zénaïde Lussier

MONIQUE MERCURE

PRIX PIONNIÈRE

Pionnière dans la durée

«C'est la durée qui fait que je suis pionnière», croit Monique Mercure qui, à 80 ans, affiche maintenant un demi-siècle de cinéma et de télévision.

«En 1959, je faisais de la figuration dans un des premiers films de Claude Jutra, qui s'intitulait Félix Leclerc, troubadour», se rappelait-elle lorsque La Presse l'a rencontrée, le 30 mars dernier, au moment de l'annonce des candidates du gala de 2011.

Pour elle, Claude Jutra, c'est l'ami proche, le frère, homme et cinéaste d'exception. «C'est quelqu'un que j'ai aimé profondément et que j'ai connu quand j'avais 18 ans, se souvient Monique Mercure. Il faisait alors son internat en médecine. Il était là à la naissance de mes enfants. Nous nous sommes vus à Paris, il a fait tourner ma fille Michèle dans son film Wow! C'est quelqu'un qui faisait partie de ma famille.»

Outre Jutra, la comédienne a tourné avec André Brassard, Jean-Claude Lord, Jean Beaudin, Jean-Claude Labrecque, Claude Chabrol, Yves Simoneau, David Cronenberg et plusieurs autres. Sous Jean Beaudin, elle fut la Rose-Aimée dans J.A. Martin, photographe, qui lui a valu le Prix d'interprétation féminine à Cannes en 1977.

Mais bien au-delà de cette récompense, le rôle était marquant. «C'était un film épatant avec un rôle de femme comme on en trouve peu au cinéma, dit-elle. Un rôle de femme qui n'est pas déprimée ou triste. Rose-Aimée est une battante. Elle est remplie de capacité, de bonheur. Elle est capable d'être heureuse.»

Photo fournie par TV5

Monique Mercure