Si Harry Potter s'était plutôt appelé Arielle Potter, est-ce que le célèbre personnage britannique aurait connu autant de succès? Difficile à dire. Chose certaine, au Québec, les personnages d'envergure ont la plupart du temps un visage masculin et le nombre de rôles destinés aux hommes est toujours plus grand. Résultat: en 2008, le revenu annuel moyen des actrices était toujours moins élevé que celui de leurs confrères. Et les choses ne semblent pas vouloir s'améliorer.

Bien que Suzanne Clément, dans Les hauts et les bas de Sophie Paquin, et Guylaine Tremblay, dans Annie et ses hommes, soient en quelque sorte la preuve de la présence de personnages féminins forts et centraux au petit écran, toutes les comédiennes n'ont pas la chance de jouer un rôle principal, car ceux-ci sont le plus souvent destinés aux hommes. Encore de nos jours, donc, les femmes de la télévision, du cinéma et du théâtre travaillent moins que leurs collègues masculins.

Selon les plus récents chiffres obtenus par La Presse, qui seront rendus publics à l'automne, en 2008, les femmes artistes ont gagné 77,4% du revenu moyen des hommes. Pour l'ensemble des cachets versés au cours de la même année, le revenu des hommes a augmenté de 7,7% alors que celui des femmes a connu un accroissement de 2,7% seulement.

Une grande déception pour les membres du comité des femmes de l'Union des artistes (UDA) puisque les données recueillies au cours des dernières années laissaient entrevoir une amélioration. En 2004, les membres féminins de l'UDA ont empoché 75,4% du salaire de leurs collègues masculin. Ce taux est passé à 81,5% en 2007 avant de reculer de nouveau en 2008.

Pour renverser la tendance

Plusieurs ont du mal à expliquer cette situation. Mais afin de renverser la tendance, le comité - dont font notamment partie les comédiennes Nathalie Gascon et Geneviève Rioux - a décidé de se relever les manches et d'aller rencontrer des représentants des organismes de financement, des réseaux de télévision et, surtout, ceux qui donnent naissance aux personnages: les auteurs.

L'objectif premier d'une rencontre avec ceux qui écrivent les téléromans, les films et les pièces de théâtre est de les sensibiliser au fait qu'un juge, un policier ou un médecin peut aussi bien s'appeler Roxanne que François.

«Il y a des filles, des auteures, qu'on a rencontrées qui nous disaient qu'elles n'avaient jamais réalisé cela», souligne Denise Marleau, présidente du comité des femmes artistes de l'UDA.

Autre problème également soulevé: les femmes sont souvent reléguées à des personnages secondaires, mentionne Mme Marleau. «Par exemple, au théâtre, si un homme a 20 journées de répétitions, la femme va peut-être en faire sept ou cinq. C'est toujours la femme de..., la blonde de..., la mère de..., la fille de... Les premiers rôles sont davantage donnés aux hommes.»

Et bien que certains téléromans comme Virginie emploient autant de comédiennes que de comédiens (21 femmes et 21 hommes), la bataille ne semble pas être encore gagnée, car il semble que les créateurs ne choisissent pas toujours volontairement de donner des traits masculins ou féminins à un rôle.

Discrimination involontaire?

«La discrimination ouverte, ça n'existe pas, assure Marie-Ève Gagnon, présidente de l'Association québécoise des auteurs dramatiques. Mais d'emblée, homme ou femme, on endosse une identité masculine. Ça fait partie de notre inconscient. L'excellence a souvent un visage masculin, poursuit-elle. Et ce n'est pas parce qu'on est une femme qu'on va écrire un personnage de femme.»

Et selon Isabelle Hayeur, vice-présidente du regroupement Réalisatrices équitables, il est bien difficile de jeter le blâme sur quelqu'un pour expliquer ce phénomène. «Il n'y a pas vraiment de responsable de cet état de fait, estime-t-elle. C'est dans notre système.»

«Le public cible idéal qui fait vendre le plus de pub, c'est l'homme entre 25 et 35 ans, ajoute-t-elle. Il faut plaire à cette clientèle-là. C'est la clientèle qui est dans l'action, qui a de l'argent, qui a du pouvoir décisionnel.»

Théorie à laquelle plusieurs comédiennes qui dénoncent la situation n'adhèrent pas. «C'est quoi le problème avec les histoires de femmes?» demande Geneviève Rioux, qui a incarné Simonne Monet Chartrand dans Chartrand et Simone et Monique dans Casino.

«S'il y a plus que deux femmes dans un film, on va dire que c'est un film de femmes, poursuit-elle. Moi, quand je vais voir un film où il y a plus que deux hommes, je ne dis pas que c'est un film d'hommes, je vais dire que c'est un film.»

Même si elle sait que les mentalités ne changeront pas du jour au lendemain, Geneviève Rioux se dit optimiste: «Ce que je n'aime pas, c'est un discours de victime.»

Le comédien Raymond Bouchard partage le même point de vue. S'il déplore le fait qu'il y a moins de rôles d'envergure pour les femmes, il croit aussi que celles-ci doivent elles-mêmes faire bouger les choses. «Il faut sensibiliser les auteurs et les réalisateurs, dit-il. Il faut aussi que les femmes prennent leur place. Il faudrait qu'il y ait plus de réalisatrices femmes, plus de projets de films de femmes et plus de maisons de production dirigées par des femmes.»

«Il y a encore des séries qui vont se faire sur des sujets où il y a plus de gars dedans parce que la réalité est comme ça aussi, prévient-il toutefois. Mais faisons attention aux grosses guerres gars-filles. On ne gagnerait pas grand-chose à faire ça comme ça.»