J'étais de ces jeunes qui regardaient passionnément la Course destination monde dans les années 90. Plus qu'une émission de télé, c'était un rêve, une sorte de Documentariste Académie, assorti d'un billet ouvert sur la planète.

Je me demande ce que serait la Course aujourd'hui. Dans les années 90, la Course, c'était les interurbains, les grosses caméras, les cassettes envoyées du bout du monde par la poste. La solitude des participants était grande dans l'aventure. Ceux des années 2010 auraient de toutes petites caméras aux capacités mille fois plus grandes, ils pourraient probablement monter leurs films eux-mêmes sur un ordinateur portable et les envoyer par internet; on les suivrait sur Twitter, on les encouragerait sur Facebook... Je ne comprends pas pourquoi la télévision ne nous offre plus une émission comme la Course, mais que des émissions claustrophobes où les gens sont filmés comme des rats de laboratoire, ou alors des émissions nostalgiques à partir d'archives. Avons-nous plus peur du monde qu'avant?

Je garde un souvenir ému de la Course car un jour, j'ai failli en faire partie. J'avais passé des nuits à peaufiner mon petit reportage sur une vieille table de montage linéaire (celle qui ne donnait pas le droit à l'erreur) et des heures à écrire mon dossier de candidature. J'avais envoyé tout ça sans trop d'espoir.

Et puis, le coup de fil. Ma candidature avait été retenue. La sélection pour la Course était extrêmement exigeante, ce n'était qu'une étape. J'ai bien failli avoir une crise de panique dans les toilettes publiques de Radio-Canada avant mon entrevue. Cinq ou six personnes m'attendaient pour me bombarder de questions. J'ai survécu.

Seize candidats passaient au prochain tour, et huit seraient choisis au final. Ça devenait sérieux. On nous fournissait un budget de 1000 $ et une caméra. Nous devions produire deux reportages en une dizaine de jours environ. N'importe où. Je n'avais presque pas voyagé, et jamais seule, je baragouinais atrocement l'anglais, mais, bêtement, je me suis rendue à Phoenix en Arizona parce que j'avais adoré le film Raising Arizona des frères Coen. Aucun sujet en tête. J'ai réservé une chambre dans un bed & breakfast gai, pour protéger ma vertu de jeune voyageuse solitaire et dans laquelle j'ai pleuré mon stress la première nuit. J'ai finalement rencontré plein de gens, vu le fameux Grand Canyon, découvert le nightlife gai plutôt discret dans ce coin des USA. Et dans mes reportages, j'ai commis à peu près tous les clichés qu'on peut imaginer quand on est sans expérience et sur le deadline...

De retour à Montréal, j'ai passé plusieurs semaines dans l'attente, avec cette impression incroyable que ma vie allait changer pour toujours. L'horizon était aussi effrayant que plein de promesses. Tous ces endroits à voir, tous ces amis à quitter pour plusieurs mois. Passer à la télévision arrivait en dernier.

Au jour J, les seize candidats étaient réunis. On a nommé huit noms. Je n'ai pas été choisie. Je me souviens de l'immense joie des élus, et du regard douloureux qu'ils nous ont jeté, une fois l'énumération terminée, à nous, les huit autres qui restions sur notre chaise. Pour briser ce silence insupportable, je les ai applaudis. Sincèrement. Le soir même, par contre, j'ai pris une sérieuse cuite et braillé sur l'épaule de mes amis.

J'ai suivi la Course destination monde encore plus religieusement que d'ordinaire. J'y croyais toujours. La plupart des participants étaient choisis à leur deuxième ou troisième tentative, après tout. Quand ils ont annoncé que c'était la dernière année, cela m'a fait plus de mal que mon élimination.

Mais la Course m'avait secouée, déniaisée. Elle avait, en un sens, changé ma vie à moi aussi. J'ai quitté le boulot abrutissant que j'avais, je me suis lancée dans le journalisme. J'ai voyagé. J'ai rencontré plein de gens passionnants, écrit des reportages.

Dans le fond, je n'ai jamais cessé de vouloir faire la Course...

Photo: François Roy, La Presse

Yvon Dompierre, à l'origine de l'idée de ce reportage, a toujours été un fidèle téléspectateur de la Course destination monde. Cette émission a été à l'origine de sa passion pour les voyages, comme pour beaucoup d'autres, j'imagine. À son avis, ces jeunes ont été, à l'époque, les acteurs d'une téléréalité qui surpasse de loin celles d'aujourd'hui, car on y apprenait quelque chose. Plusieurs réalisateurs et artistes de talent, comme Masbourian, Villeneuve, Nantel, Trogi, Falardeau, etc., ont participé dans les années 80-90 à La Course ou Europe-Asie. Que sont devenus les autres participants? On pourrait être surpris!