Hier, Justin Bieber était au Centre Bell. Avant-hier, il a été couronné roi des American Music Awards: révélation de l'année, artiste de l'année et meilleur artiste masculin pop-rock, à la barbe de son «mentor» Usher et autres Eminem.

Vendredi, la jeune pop star canadienne doit lancer son troisième album en un an, un condensé acoustique des précédents (vendus à ce jour à plus de 4 millions d'exemplaires). Et lundi, les billets pour le documentaire sur sa vie - qui ne prendra l'affiche qu'en février - seront mis en vente.

Une semaine presque ordinaire pour un blondinet de 16 ans aux dents très blanches, né à Stratford, en Ontario, adulé par des millions de préadolescentes, qui a publié le mois dernier ses «mémoires» (pas de farce).

J'ai l'air de bien connaître mon Justin Bieber. Disons que j'en sais beaucoup plus depuis que j'ai lu le reportage de ma collègue Émilie Côté dans nos pages, samedi.

Justin Bieber, premier teen idol de l'ère YouTube (où il a été découvert), chante le même genre de pop générique que tous ceux qui l'ont précédé depuis 25 ans, des New Kids On The Block aux Jonas Brothers, en passant pas les Backstreet Boys et 'N Sync. L'équivalent musical d'un popsicle trois couleurs: de l'eau, du sucre, des colorants artificiels.

Never Say Never est le titre du film 3D consacré à Justin Bieber. La bande-annonce on ne peut plus pompeuse est déjà en rotation forte dans les salles de cinéma. Images léchées du triomphe d'un garçon qui a appris à jouer de la batterie, du piano et de la guitare (mais pas de la guimbarde) à 12 ans, et qui, poussé par sa jeune mère, est devenu le phénomène pop de l'heure - ainsi qu'une PME de produits dérivés -, médias sociaux à l'appui.

Pour la modique somme de 30 $, on pourra dans quelques jours se procurer un billet pour Never Say Never, des lunettes 3D (d'ordinaire fournies gratuitement) et un bracelet fluo «avec Justin Bieber écrit dessus». Juste à temps pour Noël.

Il y a à peine 15 ans, pour le même prix, on pouvait voir des teen idols, en vrai, au Forum (qui n'était pas encore un cinéma). L'un des premiers spectacles que j'y ai couverts pour La Presse fut celui de Boyz II Men, un groupe mielleux, dégoulinant de romantisme bébête, une maladie fort contagieuse. J'ai eu un aperçu de ce qu'a pu être l'accueil réservé aux Beatles en 1965, au Shea Stadium. Les cris suraigus d'adolescentes en transe, au bord de l'apoplexie, les hormones dans le tapis. J'ai cru que mes tympans ne s'en remettraient jamais.

Il ne faut jamais dire jamais. Sauf qu'en entendant Justin Bieber chanter de sa voix de fausset qui mue, dimanche à la télé, je me suis dit qu'avec un peu de chance, je n'aurais jamais plus à souffrir un autre spectacle de teen idol de ma vie. La chose ne comporte pas que des avantages, bien entendu, mais je suis l'heureux papa de deux garçons. Et si j'aurai sans doute toujours un regret enfoui de ne pas avoir eu de fille, il ne me suffit que d'une écoute de One Time, «hit» de Justin Bieber, pour me consoler.

Il faut dire que pour l'instant, je suis épargné. Mon plus jeune, 4 ans, écoute en boucle La banane de Philippe Katerine, dont il connaît toutes les paroles. «Non, je ne veux plus jamais travailler. Plutôt crever...» Son frère aîné, 6 ans, n'a de cesse de réclamer Emmenez-moi de Charles Aznavour sur l'iPod familial. Je ne suis pas le plus grand fan d'Aznavour, mais je le préfère à une réunion au Centre Bell des New Kids On The Block et des Back Street Boys.

Je sais qu'il n'en sera pas toujours ainsi. Que mes garçons, à leur tour, nous imposeront leurs choix musicaux douteux comme jadis j'ai imposé à mes parents l'écoute de Ride The Lightning de Metallica sur la route des vacances. Qu'ils se comptent chanceux. J'aurais pu, en lieu et place, leur infliger des spectacles chorégraphiques de mon cru, au son des plus grands succès de Menudo.

Je m'apprêtais hier matin à narguer un peu les copains Alex et Jean-Christophe. Ils sont les heureux papas de filles. Puis le premier m'a prédit, avec un sourire en coin, de misérables années de hip-hop bonbon, avec des adolescents à la démarche chaloupée, aux pantalons trop larges, aux casquettes posées de travers, qui gesticulent des mains à l'envers.

Une épiphanie en forme de Yo! J'ai compris qu'il y avait pire pour un père que de voir ses filles devenir des fans de Justin Bieber. Voir ses garçons devenir des clones de Justin Bieber. Misère.

Photo: André Pichette, La Presse

Justin Bieber sur la scène du Centre Bell hier.