Emmanuel Bilodeau est comédien. Mais depuis quelques années, il est aussi porte-parole de nombreuses causes environnementales, sociales, culturelles et politiques. Le mois dernier, il est devenu membre du Comité sur la souveraineté, à la demande de la chef péquiste Pauline Marois. Discussion sur l'engagement avec un artiste militant.

M.C.: En ce moment, les artistes s'impliquent et s'engagent. On voit plus d'artistes militer pour des causes diversifiées. As-tu aussi cette impression?

E.B.: C'est vrai. Mais je crois que de tout temps - en 1976 avec l'élection du PQ, en 1980 avec le référendum -, il y a eu des artistes qui se sont impliqués. Depuis un certain temps, au Québec, il n'y avait pas beaucoup d'artistes qui s'engageaient pour la cause nationale. Je crois que les artistes étaient à la fois déprimés, désabusés ou craignaient d'être jugés et d'en subir les conséquences. Parce que ce n'est tellement pas à la mode de s'engager. C'est même néfaste pour une carrière de comédien. Il y a chez bien des artistes une espèce de conformisme ou de peur de s'engager, d'être jugé et de se couper d'une moitié de la population comme public cible.

M.C.: Les artistes n'hésitent pas à s'engager pour des causes plus consensuelles comme la paix ou l'environnement, mais le font beaucoup moins pour des causes politiques.

E.B.: Ç'a a été plus facile de mobiliser beaucoup d'artistes pour l'événement du 22 avril, organisé par Dominic Champagne.

M.C.: C'est moins compromettant...

E.B.: C'est moins polarisé. Personne n'est contre la protection de l'environnement. Les artistes le font volontiers quand c'est pour la vertu. Plusieurs sont porte-parole, comme moi, de plein de causes, bénévolement. D'emblée, je ne blâme pas les artistes qui ne s'impliquent pas en politique. Ce n'est pas nécessairement leur rôle et on ne leur demande pas souvent leur avis. Si on ne me l'avait pas demandé, parce que j'ai joué René Lévesque à la télé, je ne serais probablement pas au premier plan. C'est un hasard de la vie. Je connais plein de comédiens et comédiennes qui sont indépendantistes, mais personne ne leur demande de s'impliquer.

M.C.: Sont-ils frileux? Quand on cherche des porte-parole chez les artistes, c'est souvent les mêmes. Le Comité sur la souveraineté compte deux artistes: Paul Piché et toi. Il n'y a pas beaucoup de nouveaux visages. Les artistes ont-ils peur à ce point d'un impact négatif sur leur carrière?

E.B.: Je pense qu'il y en a plusieurs qui s'afficheraient volontiers pour la souveraineté si on leur demandait. D'autres ont compris, ou comprennent instinctivement, que ce n'est pas bon pour une carrière de le faire en ce moment. Quand Marc-André Coallier a animé une commission liée au Parti québécois avant le référendum de 1995, il a perdu son contrat de porte-parole chez Burger King. J'ai fait longtemps des voix hors-champ. J'ai payé une partie de ma maison avec ça. Mais depuis que j'ai gagné mon Gémeaux pour René Lévesque et que j'ai dit quelque chose comme «Vive le Québec libre!», les contrats de voix ont baissé dramatiquement. Je n'en ai presque plus. Peut-être que ma voix est trop reconnaissable. Mais peut-être aussi qu'elle est trop identifiée à un engagement politique. Je pense que ça m'a fait perdre plusieurs milliers de dollars par année.

M.C.: On n'engage pas les artistes engagés... Tu n'as pas peur que ça te nuise davantage encore dans ta carrière?

E.B.: Si on me demandait à nouveau de m'engager, en étant conscient de ce que ça peut avoir comme impact, je le referais. C'est sûr que je ratisse large. Je suis conscient que c'est quasiment ridicule. Ça peut nuire à mon image et à ma carrière, mais je m'en fous. Je n'ai pas de plan de carrière. Il y a des gens qui ont des plans de carrière. Des gens pour qui ce serait trop délicat de s'engager. Ça m'étonne toujours que les grosses vedettes, qui n'ont rien à perdre, refusent de s'engager. Elles auraient de l'impact. Elles sont très aimées du public. Pourquoi on ne les entend pas? Peut-être parce qu'elles calculent que ce n'est pas une bonne idée.

M.C.: Certains trouvent que les artistes s'engagent dans différentes causes pour se donner bonne conscience.

E.B.: Je fais plein de choses pour me donner bonne conscience: je composte, je fais du recyclage. Se donner bonne conscience, c'est louable. Plutôt que de ne rien faire. On peut aussi se dire que ça ne donne rien de composter et de recycler parce que les grandes entreprises polluent bien plus que nous. Les Chinois et les Indiens aussi. Si on part de cette logique-là, on ne fait rien et on abandonne.

M.C.: D'autres disent que c'est par opportunisme que les artistes s'engagent...

E.B.: Je suis bénévole et je perds de l'argent en plus! Je ne le fais certainement pas par opportunisme. Je n'ai pas plus de rôles... Ça ne donne rien pour ma carrière.

M.C.: De voir toujours les mêmes artistes à l'appui de la souveraineté, ça donne l'impression que les choses n'évoluent pas. Il me semble qu'un souffle de jeunesse ne ferait pas de tort...

E.B.: J'aimerais mieux que quelqu'un d'autre que Paul Piché soit dans le Comité pour la souveraineté. En même temps, il a une sagesse et un recul dont on ne devrait pas se passer. Pourquoi des artistes n'auraient pas le droit de se servir de leur notoriété pour faire passer des messages? Les médias s'intéressent à nous parce qu'on est connus. Si c'est moi qui t'en parle aujourd'hui, c'est parce que tu me l'as demandé. Une société où les artistes ne s'expriment plus me ferait peur.

M.C.: Bien des gens disent que le débat sur la souveraineté a eu lieu et qu'il est temps de passer à autre chose. Tu n'as pas l'impression d'être à contre-courant?

E.B.: On n'a pas réglé la question! On n'est toujours pas signataires de la Constitution canadienne. Le Québec végète. Ça fait un peu dur. Je ne vois pas pourquoi ce serait pire si le Québec était indépendant. Il y a beaucoup de jeunes qui n'ont pas connu ce débat-là et qui pourraient construire le pays. On est un peuple distinct. Mais si on ne bouge pas bientôt, on va devenir un peuple indistinct.