Le bureau du maire de Québec, Régis Labeaume, est beige: tapis beige, murs beiges, tapisserie beige. Tout est beige, sauf le maire qui, lui, est coloré.

Assis sur sa table de travail, les pieds ballants, Régis Labeaume répond aux questions des journalistes qui l'entourent. Il est accompagné de ses deux vice-présidents du comité exécutif qui ajoutent quelques détails lorsqu'il les y autorise. Comme tous les soirs de séance du conseil municipal, il reçoit la dizaine de journalistes qui le suivent quotidiennement.

Ce soir-là, le maire est de bonne humeur, il badine et regarde les journalistes droit dans les yeux du haut de ses cinq pieds cinq pouces. C'est lui qui mène. Un peu plus et il formulerait les questions.

Lorsqu'un journaliste l'interrompt, il le coupe: «Laissez-moi terminer!»

Il cultive les phrases-chocs. Lorsqu'un journaliste lui parle du président de l'Ordre des architectes qui se plaint des délais trop serrés pour dessiner les plans du futur amphithéâtre, il tranche: «Lui, il défend ses membres, moi, je défends l'argent du public! Le bar ouvert, c'est fini! Ce sont nos règles du jeu et c'est comme ça que ça marche!»

Au conseil municipal, les trois conseillers indépendants se font rabrouer chaque fois qu'ils osent intervenir. Le maire domine l'assemblée avec ses 24 conseillers qui le soutiennent aveuglément. Ils rient avec complaisance quand Régis Labeaume ridiculise un membre de l'opposition.

«Je ne vous ai pas ridiculisé, se défend le maire devant les protestations du conseiller indépendant, Yvon Bussières, j'ai fouillé dans mon sac à blagues!»

Donc, le maire va bien, sa ville aussi. Les deux vivent en osmose. Même s'il est au pouvoir depuis quatre ans, 80% de la population continue de le soutenir, un score renversant que ses adversaires admirent.

«Labeaume a un capital de sympathie extraordinaire, admet un de ses principaux opposants, Pierre Boucher. On se croirait dans une république de bananes.»

«Régis Labeaume, c'est le politicien que les gens veulent, explique le morning man de Radio X, Denis Gravel, successeur du flamboyant Jeff Fillion. Il a les mêmes défauts que ses électeurs: il est émotif, il veut avoir raison et il fait à sa tête. Il nous dit: On veut faire le ménage, mais on ne peut pas à cause de la loi? Pas de problème, on va changer la loi! Les gens aiment ça, cette effronterie-là.»

Labeaume est sûr de lui, la Ville aussi avec son taux de chômage sous la barre des 5%, un des plus bas du Canada, ses surplus (33 millions en 2009 et 20 millions en 2010) et son maire qui fonce et réussit à arracher 200 millions au gouvernement Charest.

Tout cela grâce aux fusions. Tout le monde le reconnaît, le maire en premier. «S'il n'y avait pas eu les fusions, on n'en serait pas là.»

En 2000, Québec était une ville de moins de 200 000 habitants qui passait son temps à se chamailler avec ses banlieues: Sillery, Sainte-Foy, Beauport, Charlesbourg. Une ville dépressive qui avait perdu les Nordiques en 1995 et qui carburait aux radios poubelles. Les Jeff Fillion et André Arthur de ce monde faisaient la pluie et le beau temps (surtout la pluie) et vomissaient leurs frustrations.

Les fusions ont changé la donne. La ville est passée de 200 000 à 514 000 habitants. Pendant les défusions, Québec a réussi à garder les grandes banlieues dans son giron. Seules deux petites villes, Saint-Augustin et L'Ancienne-Lorette, sont parties.

Les arrondissements jouent un rôle marginal, il n'y a pas de maires, mais des présidents. Et ils ont peu de pouvoir: ils n'ont pas le droit d'imposer des taxes, d'embaucher du personnel ou d'emprunter, contrairement à Montréal. À Québec, les citoyens ne connaissent même pas le président de leur arrondissement. À Montréal, le maire du Plateau, Luc Ferrandez, est presque plus connu que Gérald Tremblay.

Québec est devenu une ville forte et cohérente, alors que Montréal est faible, morcelé, empêtré dans ses trop nombreuses structures. Lors du douloureux épisode des défusions, Gérald Tremblay a promis monts et merveilles aux anciennes banlieues pour les convaincre de ne pas quitter le navire. Résultat: les arrondissements sont devenus des quasi-villes. Rien de tout cela à Québec. Les arrondissements donnent des services à la population, point. Ils ne se prennent pas pour des villes.

Le maire Labeaume regarde Montréal avec pitié. Il verse presque une larme sur son sort.

Ça n'a aucun sens, dit-il. Personne ne réussirait avec une telle structure. Si j'étais là, ça brasserait. Je dirais aux gens: «Élisez-moi et je vais défaire tout ça.»

Mais seul le gouvernement du Québec a le pouvoir de changer les structures, lui ai-je répondu.

Si j'étais élu par 80% de la population, le gouvernement n'aurait pas le choix. Je lui dirais: «Ces structures-là, c'est terminé!» C'est tellement clair pour moi. Et ça marcherait!

Et Gérald Tremblay?

Je ne veux pas commenter, je ne veux pas faire mon smart. Mais si j'étais là, il s'en perdrait, des jobs!

La rivalité Québec-Montréal est presque morte et enterrée. Québec s'est réconcilié avec ses vieux démons et s'est débarrassé de son sentiment d'infériorité par rapport à Montréal.

Selon Denis Gravel, de Radio X, Jeff Fillion ne pourrait plus avoir le même impact «parce que ça va mieux à Québec. La ville nous ressemble et le maire nous ressemble. Quand je retourne chez nous, au Saguenay, les gens me disent: On veut un maire comme Labeaume!»

Les fusions sont acceptées, digérées. Affaire classée.

«Je pensais que ça prendrait au moins 10 ans avant que la mayonnaise prenne, dit Pierre Boucher, opposant de Labeaume, mais ça s'est passé beaucoup plus vite. Les fusions, c'est bon pour les manuels d'histoire.»

Pendant ce temps, à Montréal...