CETTE CHRONIQUE A FAIT L'OBJET D'UNE PRÉCISION DANS NOTRE ÉDITION DU 6 OCTOBRE 2010. LA PRÉCISION APPARAÎT AU BAS DU TEXTE.

Chaque nouvelle décennie de la crise d'Octobre 1970, c'est toujours le même scénario. On découvre que le disque dur de la mémoire collective a été effacé et que l'amnésie s'est emparée d'un peu tout le monde. Pour y remédier, les journalistes retournent à la case départ et remontent le cours de l'Histoire en nous servant, décennie après décennie, les mêmes faits, parfois éclairés différemment, parfois carrément réchauffés.

La démarche a ceci de louable qu'elle nous empêche tous de sombrer dans une amnésie terminale. Mais elle a ses défauts et ses écueils. Le premier étant l'enlisement dans l'anecdote spectaculaire qui empêche d'avancer et de réfléchir plus profondément sur l'événement politique le plus traumatisant du Québec moderne. Le deuxième écueil est une vilaine manie: le recours à un marketing tonitruant qui nous promet la révélation du siècle et toute la vérité sans pour autant les livrer.

C'est un peu le cas des deux reportages de Guy Gendron diffusés dans le cadre de l'émission Tout le monde en parlait et présentés la semaine passée comme une extraordinaire exclusivité, peuplée de témoins qui n'ont jamais parlé à la caméra et pavée de révélations fracassantes menant à la vérité avec un grand V.

En regardant les reportages, une arrière-pensée diffuse me disait que j'avais déjà vu tout ça, mais où? J'ai fini par trouver. C'était à Télé-Québec. Il y a 10 ans, les cinéastes Carl Leblanc et Luc Cyr avaient réalisé La belle province, un documentaire sur la mort de Pierre Laporte qui sera d'ailleurs diffusé sur RDI le 6 octobre. S'ajoute à ce premier film. L'otage, réalisé par le même tandem en 2004 avec le concours de James Richard Cross qui acceptait pour la première fois de revenir sur les événements.

Dans le documentaire de Leblanc et Cyr sur Laporte, Jacques Lanctôt raconte la même histoire qu'il répétera 10 ans plus tard à Guy Gendron. Idem pour Julien Giguère le chef du renseignement à l'escouade antiterroriste et pour Robert Demers, l'avocat du gouvernement. Bref malgré une décennie d'écart, ce sont toujours les mêmes qui s'empressent de témoigner, favorisant ainsi toujours la même version (biaisée?) de l'histoire.

Le documentaire de Cyr et Leblanc regorge d'images d'archives saisissantes qui traduisent bien le climat glauque et tendu de l'époque. Il n'y a pas cette richesse visuelle dans les reportages de Radio-Canada. En revanche, dans le reportage de Gendron, on apprend de la bouche de Giguère et de Demers que la police et le gouvernement ont toujours su que la mort de Laporte était accidentelle. De mémoire, c'est la première fois que la chose est dite aussi clairement, confirmant que la police et le gouvernement ont récupéré le mensonge de l'exécution, récupération qui faisait autant leur affaire que l'affaire des terroristes. Ironique quand même.

On apprend aussi dans le reportage de Gendron que la communication entre la police et le gouvernement était mauvaise, voire inexistante et que ce manque de coordination est peut-être responsable de la proclamation de la Loi des mesures de guerre. Selon Demers, si le gouvernement avait su que la police détenait les noms des ravisseurs dès les premières heures de la crise, le gouvernement Bourassa n'aurait peut-être pas eu recours à des mesures aussi abusives. Giguère, pour sa part, insiste que l'information a bel et bien été communiquée et que ce n'est pas de sa faute si elle ne s'est pas rendue.

Qui dit vrai? Difficile pour le commun des mortels qui vit en Amnésie, de se faire une idée. D'autant plus que personne n'a cru bon lui rappeler que Julien Giguère n'était pas que le chef des renseignements à l'escouade antiterrorisme. C'était aussi le monsieur qui a, pour ainsi dire, inventé l'indicatrice Carole Devault, Mata Hari de la politique québécoise. C'est aussi Julien Giguère qui, après la crise, a tenté de relancer un faux FLQ avec des faux communiqués et des vrais braquages qui ont coûté cher à de jeunes et naïfs idéalistes à la sauce André Lavallée.

Giguère est peut-être aujourd'hui un monument de candeur (calculée) mais pendant la crise d'Octobre, c'était un as de la manipulation. Il aurait fallu le dire et le souligner au crayon gras, chose qui n'a pas été faite.

Le résultat de tout cela, c'est que 40 ans plus tard, on n'en sait pas tellement plus. C'est, à quelques nuances près, toujours la même histoire, voire la même fiction pour paraphraser l'écrivain Louis Hamelin, qui circule et qui nous est resservie décennie après décennie.

À ce propos, l'auteur de La constellation du Lynx met le doigt sur un des plus grands obstacles à la compréhension de la crise d'Octobre. «Nous vivions, écrit-il à la page 296 de son roman, à une époque où l'idée même de la conspiration avait été réduite, sous les espèces du complot et de la conspirationnite, à la permanente caricature d'elle-même, discréditant d'avance toute tentative de réflexion un peu soutenue sur le thème des manipulations politiques.»

Quarante ans plus tard, la question de la manipulation politique et policière et, surtout, de son ampleur, demeure entière. Faudra-t-il encore pendant longtemps passer par la fiction pour en débattre?

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PRÉCISION

Ma chronique du 29 septembre sur la crise d'Octobre laissait planer deux ambiguïtés au sujet de l'avocat et négociateur du gouvernement Robert Demers. En apprenant que les policiers ont obtenu les noms des ravisseurs de Cross et Laporte tôt dans l'histoire, l'avocat n'a jamais remis en cause les mesures de guerre. Il a plutôt déclaré sur les ondes de la SRC: "Ils (les policiers) ne le savaient pas. Ne me dites pas ça!" De plus, même si l'avocat affirme à la caméra que Pierre Laporte est mort étouffé dans un moment de panique, il ne le savait pas au moment où les faits sont arrivés. Désolée pour ces malentendus.