Quand Carla m'accueille à la porte, il y a, lovée dans ses mains, une perruche verte. Carla s'excuse presque, elle dit: «On a eu un petit décès.» Dans la pièce, la vie continue: des hamsters, des lapins, des chats. Et d'autres perruches.

C'est un après-midi ordinaire et tranquille dans l'animalerie la plus improbable en ville: celle de l'hôpital Louis-Hippolyte Lafontaine, dans l'est de la ville. L'hôpital psychiatrique.

 

 

Oui, il y a une animalerie à Louis-H. Elle sert autant à apprivoiser des patients hospitalisés qu'à héberger les petites bêtes - sauf les chiens, trop d'entretien - de certains patients eux-mêmes hébergés à l'hôpital.

Carla, donc. Elle a 28 ans. Bénévole à l'animalerie de Louis-H. depuis trois ans, deux fois par semaine. Elle a connu l'animalerie quand elle a commencé des traitements en consultation externe ici. Il y a trois ans, Carla, petite brune à lunettes, a fait une dépression. Une grosse dépression. D'ailleurs, je vous le demande, y a-t-il de petites dépressions?

Trois ans sans travailler. Ce bénévolat, auprès des bêtes et des humains qui aiment ces bêtes, c'est un des fils reliant son petit appartement au monde extérieur. Il n'y en a pas beaucoup, de ces fils, dans la vie de Carla.

«Je me sens utile à faire le ménage des cages. Les animaux, ils sont contents, tout de suite. La relation est facile.

- Plus facile qu'avec les gens?

- Des fois, oui. Ils ne critiquent pas, ils ne jugent pas...»

Carla me fait faire le tour du propriétaire. Elle sort les animaux de leur cage, commente leurs caractères, leurs habitudes, leurs caprices. J'oublie le nom du lapin, appelons-le Boubou, et Boubou part explorer tous les recoins de la pièce. Carla libère une colombe qui, comme toujours quand on la sort de sa cage, va se percher sur une tablette, dans le coin, au-dessus du bureau. La colombe parade d'un bout à l'autre de la tablette, sans relâche, fière qu'on la regarde. On dirait une concurrente d'Occupation double.

***

L'animalerie de Louis-H. compte une vingtaine de bénévoles. Pas seulement des patients de la consultation externe. Sans les bénévoles, l'animalerie n'existerait pas. Sans l'animalerie, certains patients refuseraient d'être hospitalisés.

«Plusieurs patients sont seuls, dit Chantal Cloutier, ergothérapeute à Louis-H. Où on envoie son chat, s'il faut être hospitalisé? Pour beaucoup de gens, vous savez, leur animal, c'est comme leur bébé...»

Mme Cloutier utilise aussi les bêtes pour aider des patients psychotiques à entrer en relation. Ils viennent ici, à l'animalerie, voir les animaux. Ça les fait sortir de leur chambre. C'est une activité, un fil avec l'extérieur.

Et la bête, elle, ne demande qu'à se faire flatter.

«À l'animal, on n'a rien à dire. On n'a pas besoin d'un sujet de conversation...»

Pour les bénévoles qui sont suivis en psychiatrie, l'animalerie de Louis-H. devient une sorte de tremplin pour retrouver sa place en société. «Ça exige qu'ils se lèvent, le matin, qu'ils prennent l'autobus pour venir ici, ajoute l'ergothérapeute. Il faut interagir avec les autres, ça prépare à une routine.»

Ça semble simple, ça semble banal, évidemment.

Mais quand tu te tapes une dépression, comme Carla, se lever le matin, se laver, prendre le bus, arriver à l'heure et faire le ménage des cages, ce n'est ni simple ni banal. C'est un petit exploit. Peut-être même un gros.

***

Il y a encore des gens qui croient que la dépression est une proche cousine de la paresse. Qu'il suffit de se botter le derrière, de prendre un peu de soleil, de faire du jogging pour s'en sortir.

C'est faux, bien sûr. La dépression est une maladie. Une maladie en pleine croissance en Occident, d'ailleurs. Qui n'a rien à voir avec la paresse.

Carla me raconte sa vie. Mimi, grosse chatte grise sans queue, se prélasse sur ses cuisses. Elle me raconte, sans s'apitoyer sur son sort, le trou de trois ans dans son CV, le harcèlement psychologique au boulot qui l'a fait sombrer, son désir de s'en sortir, la solitude, le trou sans fond qu'est la dépression, qui vous fait même perdre le goût de vous laver, quand on touche vraiment, vraiment le fond..

«Le plus dur? Les préjugés. C'est pas vendeur d'expliquer qu'on a été malade! Que c'était une dépression. Je me sens comme les gens qui ont fait de la prison et qui le cachent. Mais moi, je n'ai pas commis de crime...»

Là, Carla vit du BS. Pour sortir du BS, elle a besoin d'un job. Personne ne la convoque en entrevue. Peut-être parce qu'elle est sur le BS, que son CV a un trou béant. Allez savoir.

J'écoute Carla et, bien sûr, l'enquête publique sur la construction, la léthargie inexplicable de Scott Gomez et la montée de la droite appartiennent à une autre dimension. Je me demande comment on fait, quand on s'appelle Carla, qu'on a 28 ans, pour se sortir de ce trou, remonter dans le train, redevenir active.

Autre cercle vicieux: Carla va mieux, alors le BS lui a enlevé 121$: elle est apte au travail, désormais. Son chèque est désormais de 592$ par mois. C'est le côté pervers d'être mieux, dit-elle, on m'a réduit mon chèque...

Elle sort une enveloppe. La pousse vers moi.

«Tenez, dit-elle, si ça peut m'aider...»

Pendant une seconde, j'ai pensé qu'elle me proposait un deal un peu suspect! Imaginez, une grosse enveloppe. Blanche! Mais dans l'enveloppe, il n'y avait pas de fric, pas de billets de 100$ ou de 1000$. Juste son CV.

J'ai pensé: voici le CV d'une fille qui essaie de monter l'Everest en gougounes.