Au fond, les problèmes de Manuel Campeau à la polyvalente Sainte-Thérèse ont commencé au primaire. Petit, on lui a diagnostiqué un déficit de l'attention et un syndrome de l'hyperactivité. Avec ses comportements impulsifs, il détonnait.

En 2005, quand il est entré dans le programme sport-études (plein air) de la «PST», ses anciens camarades du primaire se sont chargés de lui rappeler son passé de vilain petit canard.

Tu pues.

T'es con.

Des mots qui blessent, à répétition, devant tout le monde. Dans la classe, dans les cases, dans les sorties en plein air du programme.

Des gestes, aussi. Des mises en échec dans les casiers, par exemple.

«Ça n'a pas été long que les gens ont vu que j'étais une proie facile. Ils ont vu que j'étais déjà miné. J'avais de la misère à m'exprimer. Ils me faisaient chier et je ne ripostais pas.»

C'était en 1re secondaire, en 2005, il avait 13 ans. C'était pour Manuel le début d'un enfer ordinaire, celui des victimes de bullying dans une grande école secondaire. Un enfer qui s'est étiré jusqu'au printemps de sa 4e secondaire, quand Manuel en a eu assez. Que tout a explosé.L'histoire de Manuel est un classique. Quelques petites brutes, parmi la bande cool de l'école, qui picossent un canard boiteux.

Les autres jeunes?

Complices par leur silence. Par leurs ricanements. Par leurs encouragements.

Même si on le bousculait dans les couloirs, même si on lui volait son lunch pour l'éparpiller dans les casiers, même si on lui répétait qu'il puait et qu'il était con, Manuel, en regardant dans le rétroviseur, a ces mots sidérants: «Le secondaire I, ce n'était pas si pire, quand même.»

En 2e secondaire, la dynamique est devenue «une autre affaire», comme il dit. Plus intense.

Je sais ce que certains d'entre vous pensent. Vous pensez que Manuel aurait dû se défendre, pour envoyer un message à ses agresseurs.

C'est ce qu'il a fait: «Après une activité de piscine, un gars a commencé à me fouetter avec sa serviette mouillée. Là, j'en ai eu assez. J'ai répliqué...»

Les loups n'ont pas aimé que Manu, le canard boiteux, se rebelle. Les loups, ce jour-là, se sont tous mis du bord de l'agresseur. «Tout le monde s'est mis à me frapper. Ils étaient 14 sur mon cas.»

Manuel Campeau a poussé sa rébellion un peu plus loin. Il en a parlé à deux profs. Ceux-ci ont organisé une rencontre avec Manuel et deux de ses tortionnaires (qui n'ont pas répondu à des demandes d'entrevue).

Les parents des jeunes tortionnaires ont été invités à la rencontre. Mais pas les parents de Manuel! C'est donc dire que dans cette rencontre, les loups ont eu le droit d'être flanqués de leurs parents. Mais pas Manuel.

Pourquoi? La réponse appartient aux deux profs. Ils n'ont pas répondu à mes demandes d'entrevue. La commission scolaire de la Seigneurie des Mille-Îles a refusé de leur demander, à ma requête, une explication à ce sujet.

«Dans cette rencontre, j'ai pleuré, relate Manuel. J'ai dit à quel point j'étais tanné de me faire écoeurer. Que j'aimais le programme de plein air. Les parents ont été ben touchés.»

Les jeunes loups, bien sûr, ont promis d'arrêter d'embêter Manuel Campeau.

«Ç'a duré deux semaines.»

Puis, ils ont recommencé. L'enfer de Manuel s'est poursuivi.Mettez-vous dans la peau de Manuel, une seconde. Vous avez 14 ans, vous êtes le souffre-douleur de votre groupe, à l'école. Et un jour, vous dénoncez. Les profs organisent une rencontre avec deux de vos agresseurs. Vous pleurez pendant votre cri du coeur.

On vous promet que ça va changer. Que l'enfer va prendre fin.

Mais rien ne change. Les petites brutes continuent à vous rendre la vie infernale. Les deux profs chez qui vous êtes allé sonner l'alarme, eux, ne voient rien, même si les brutes convoquées avec leurs parents poursuivent leur harcèlement.

Alors vous êtes Manuel. Vous faites quoi?

Réponse: rien. Vous vous refermez comme une huître. Vous encaissez.

Le reste de la 2e secondaire, encore des insultes, encore des bousculades, encore des gommes à effacer qu'on vous lance derrière la tête. Et bizarrement, aucun adulte ne voit quoi que ce soit, à la PST. Les profs, selon Manuel, ne font pas de suivi après la rencontre où Manuel a très clairement raconté son calvaire.

Puis, vient la 3e secondaire. Et de nouveaux élèves, dans le groupe. Pour Manuel, c'est un petit espoir: «J'ai commencé à être ami avec les nouveaux.» Mais, très vite, la meute a fait comprendre aux nouveaux le statut de Manuel dans le groupe. «Ils ont viré de bord.» Les nouveaux amis sont devenus des loups.

Dans les sorties de plein air, personne ne veut être en équipe avec Manuel. Pour les projets à l'école, il était toujours en solo. Je répète que personne, parmi les adultes de la PST, n'a semblé troublé par cet ostracisme organisé. Je rappelle que nous sommes en 2008, pas en 1978: les problématiques de bullying sont supposément bien connues.

Miraculeusement, Manuel ne sombre pas, sur le plan scolaire. Il se maintient. Il le faut: pour rester dans le programme sport-études, on doit afficher 70% de moyenne. Et, ironiquement, avoir un bon comportement!

«J'ai commencé à en parler à mes parents. Mon beau-père m'a dit: ignore-les. Mais t'as beau faire semblant, tu peux pas. Te faire agresser psychologiquement, ça fait mal. Si on te donne un coup, au moins, après une semaine, l'ecchymose s'en va.»Dans La Presse de samedi, je vous raconterai la 4e secondaire de Manu. Je vous raconterai le vol qui a mis le feu aux poudres, la directrice qui refuse d'entendre le mot «agresseurs», la fugue de Manu, ses trois semaines d'internement à Sainte-Justine en psychiatrie et l'arrivée de la Direction de l'indemnisation des victimes d'actes criminels (IVAC) dans le portrait.

Je vous raconterai comment l'enfer ordinaire du bullying, pour une victime, se termine en solitaire.