Ce n'était pas vraiment une bonne journée pour une cérémonie en plein air. Jackie Robinson aurait été surpris de voir ces flocons de neige fondante, gros comme des huards, et cette couche de slush grise-brune qui nous montait jusqu'aux chevilles.

Il aurait été surpris parce qu'il n'a jamais passé un hiver à Montréal. En fait, Jackie Robinson a vécu quelques mois chez nous, le temps d'une saison de baseball, celle de 1946, avant de disparaître, direction Brooklyn. Mais il est passé comme un météorite et nous en parlons encore aujourd'hui, comme s'il était resté 10 ans.

L'ambassade américaine a subitement décidé de souligner l'aventure montréalaise de Robinson en ce mois de l'histoire des Noirs. Nous étions une centaine, des spécimens des médias, des curieux, des Noirs, des voisins, quelques bougons sur leur balcon comme nous seuls savons les produire, des agents secrets, comme celui qui se tenait à côté de moi en faisant semblant de ne pas être là. Mais il avait une gueule de tueur et un fil qui partait de son oreille pour se cacher dans son col de manteau, comme dans les films. C'était un garde du corps de l'ambassadeur David Jacobson. Ces gens-là sont un peu paranos...

Nous étions agglutinés devant le balcon de M. Boudreau qui, dans les années 70, a acheté un modeste quadruplex de l'avenue De Gaspé, dans Villeray, sans savoir qu'il s'y trouvait des fantômes. Maintenant, il le sait. Il a même une jolie plaque près de sa porte pour le prouver. Jackie Robinson a habité ici...

Le monsieur semblait un peu perdu hier quand l'ambassadeur des États-Unis, le consul général à Montréal, la ministre des Sports, le maire de Montréal, la mairesse de l'arrondissement et quelques autres ont cogné à sa porte et sont entrés.

Pourquoi Jackie Robinson et sa jeune épouse ont-ils choisi ce quartier pour vivre alors que les Royaux évoluaient à l'angle d'Ontario et De Lorimier? Personne, hier, ne semblait le savoir.

Il nous reste la légende. Celle de ce quartier francophone qui a accueilli les Robinson comme de la parenté sans vraiment savoir ce qu'ils représentaient. Des dames qui s'occupaient de la jeune Rachel quand elles ont compris qu'elle était enceinte. De la famille de huit enfants qui habitait au-dessus et qui portait ses colis.

Et puis la légende ultime: c'est au 8232 De Gaspé que Jackie Robinson a couru se réfugier alors qu'une foule de Blancs le pourchassaient. Ils voulaient le féliciter pour le championnat qu'il avait procuré aux Royaux. Robinson pensait que la meute d'admirateurs voulait lui faire du mal. Il arrivait du sud profond des États-Unis, en 1946...

Le diplomate

Nos amis américains ont attendu bien longtemps avant de passer aux actes. Les employés de l'ambassade et du consulat nous ont dit que c'était une idée du nouveau consul à Montréal, Lee McClenny. À peine 40 ans, un français impeccable, très affable, il refuse de prendre tout le mérite. «Beaucoup de gens ont travaillé là-dessus, à commencer par M. Boudreau qui a bien voulu nous accueillir.»

«Tout de même, M. le consul, il vous a fallu beaucoup de temps...

- Oui. Et le baseball majeur a mis beaucoup de temps à intégrer les joueurs noirs» ...

Un Américain cool.

M. Boudreau

M. Boudreau est celui qui, curieusement, a été le plus applaudi par la foule. Un monsieur Tout-le-Monde, un peu mal à l'aise, qui était le premier surpris et semblait trouver toute cette affaire un peu bizarre.

Mes collègues de Cyberpresse ont réussi à le coincer sur son balcon surpeuplé. Quand mon tour est venu, le goon de la CIA est venu le chercher et l'a dirigé vers une limousine. «Nous allons au consulat. Vous lui parlerez là-bas.»

Il faudra vous fier à Cyberpresse.

Le maire

Celui-là est un champion. Quand il s'est présenté devant la petite tribune improvisée sur le balcon, il a renversé tous les micros que nos collègues avaient placés avec soin. On a entendu un badaboum électronique qui a dû résonner jusqu'à la rue Jarry.

«Je n'ai touché à rien, a-t-il dit. Ces choses-là n'arrivent qu'à moi!»

Il n'aurait pu mieux dire. Nous étions pliés en deux.

Et puis le maire Gérald Tremblay s'est lancé dans un long discours énergique où la ville de Montréal était présentée comme le nouveau paradis terrestre. Nous sommes tellement tolérants et bons que nous avons changé le cours de l'histoire... et ainsi de suite.

Sauf que son discours était rempli d'erreurs, de mauvais noms, du mauvais sport, d'invraisemblances, d'exagérations, de l'histoire du mois des Noirs plutôt que du mois de l'histoire des Noirs...

Je me suis souvenu de la fois, à l'hôtel de ville, où il avait remis la Coupe Stanley aux Alouettes.

Si vous pensez que le maire de Québec est drôle, sachez que le nôtre n'est pas mal non plus...