Presque oublié depuis sa création, le Segway connaît une soudaine popularité grâce au prix élevé de l'essence. Les ventes explosent aux États-Unis, les pays européens le permettent en nombre grandissant, la Chine l'utilisera pour la sécurité aux Jeux olympiques, l'Ontario vient de lui donner le feu vert et, au Québec, un projet de loi est en préparation. Notre journaliste a testé un de ces appareils durant une semaine afin de voir s'il peut être utile dans la vie de tous les jours.

Les têtes qui se tournent. Les regards interrogateurs. Les sourires. Les policiers qui hésitent à intervenir... Perché sur son Segway, on se sent à la fois pionnier, en avance sur son temps, libre de ses mouvements et un peu... ridicule. Ainsi a dû se sentir le premier automobiliste.

Ce véhicule électrique à deux roues a beau avoir vu le jour il y a sept ans, il attire en effet la curiosité comme s'il était tout neuf. Normal : je suis le seul à me promener en Segway à Montréal, le bidule étant tout simplement interdit parce que inclassable.

Le Segway ne s'apparente ni à un vélo, ni à un scooter, ni à une planche à roulettes, pas plus qu'à des patins, à une trottinette ou à un fauteuil roulant. L'objet ressemble plutôt à un diable, comme ceux qu'utilisent les déménageurs, auquel on aurait ajouté d'énormes roues propulsées par un moteur électrique.

On y dépose un pied, puis l'autre. Et on avance.

C'est tout.

Le Segway est au transport ce que le iPod est à la musique : un objet d'une simplicité inouïe pour lequel tout manuel d'instruction est superflu. Dix secondes sont nécessaires pour s'acclimater à la bête. Puis on avance, on recule, on tourne, avec un naturel déconcertant.

Facile d'utilisation, certes. Mais pratique ? Révolutionnaire ? Voilà la question.

Pour La Presse, l'engin a été testé de toutes les manières possibles et imaginables. Sur les ponts Jacques-Cartier, Victoria, de la Concorde. Au restaurant, à l'épicerie, dans le métro. Sur les pistes cyclables, les trottoirs, les avenues et les boulevards. Au centre-ville, en banlieue et même entre les deux.

Conclusion : le Segway est un véhicule absolument parfait pour le 450, un peu moins pour le 514.

Dans le 450

Imaginé et fabriqué par des Américains, il est parfaitement adapté aux larges rues, aux quartiers quasi déserts ainsi qu'aux maisons dotées d'un garage. Pas surprenant, d'ailleurs, qu'il soit toléré à Longueuil mais qu'il soit strictement interdit dans l'île de Montréal (théoriquement, car les policiers que nous avons croisés n'ont pas sourcillé).

Durant une semaine, se promener sur les pistes cyclables et dans les rues de la Rive-Sud n'a posé aucun problème. Je suis allé chercher mes chemises chez le nettoyeur (une main dans les airs). J'ai rapporté un film au club vidéo (le Segway verrouillé à un parcomètre). J'ai fait une petite épicerie (on peut le munir de sacoches).

Puis j'ai fait quotidiennement le trajet entre Saint-Lambert et le Vieux-Montréal. Huit kilomètres, par la piste cyclable qui passe par le pont Victoria, le parc Jean-Drapeau et le pont de la Concorde. En 30 minutes, le tout était bouclé, sans une goutte de sueur.

Il a aussi été possible d'emprunter la piste cyclable du pont Jacques-Cartier, où tout s'est bien passé malgré une difficile approche causée par la configuration de la bretelle d'accès. Moins de chance au métro Longueuil, toutefois : «On tolère les bicyclettes, a lancé le changeur. Mais ça, ça n'a pas du tout l'air d'une bicyclette.»

Dans le 514

Une fois à Montréal, la balade se corse, car il faut zigzaguer entre les autos même si on est deux fois plus large qu'un cycliste, éviter les trottoirs pour la même raison, se faufiler dans des rues souvent trop étroites pour un usager supplémentaire, anticiper l'ouverture des portières et éviter les attroupements (quand on n'en est pas la cause).

On peut fréquemment rester bloqué sur le boulevard Saint-Laurent et dans la côte du Beaver Hall, par exemple, où les piétons ont une cadence supérieure au conducteur du Segway. Aux intersections, on ne sait trop où attendre. Et il est difficile de laisser son Segway sur des voies très fréquentées, comme les rues Saint-Denis et Notre-Dame, pour aller faire ses emplettes.

Remarquez, la chose est possible et peut même être agréable aux yeux de certains citadins, mais elle n'est pas donnée à tous. D'autant qu'un Segway pèse près de 48 kg. Sur l'avenue du Mont-Royal, on ne peut donc pas le soulever pour le déposer sur le trottoir. Il est hors de question, également, de monter le bolide dans un appartement du Plateau situé à l'étage. Et tout accident avec un piéton peut s'avérer un brin dramatique.

Bref, le Segway a beau se présenter comme un «véhicule urbain», il est davantage adapté à la banlieue. Pour l'instant. Car une utilisation plus répandue en ville lui donnerait assurément plus de légitimité et, éventuellement, plus d'espace pour circuler.

Mais il ne s'agit pour l'instant que de science-fiction, là d'où semble d'ailleurs venir le Segway.

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Le bolide en sept questions

Q: Le Segway est-il facile à utiliser?

R: Oui, très facile.

Q: Comment fonctionne le Segway?

R: «Grâce à ses microprocesseurs, le Segway analyse en permanence sa conduite. Cinq gyroscopes et deux capteurs travaillent ensemble pour déterminer la position du Segway par rapport à son centre de gravité. Les ordinateurs analysent leurs mesures et compensent en temps réel les irrégularités du sol», selon le Centre d'expérimentation des véhicules électriques du Québec (CEVEQ).

Q: Peut-on tomber?

R: Oui, mais seulement si on l'utilise de manière agressive ou sans en connaître le fonctionnement. Le président George W. Bush est d'ailleurs tombé en montant sur un Segway.

Q: Le Segway pollue-t-il?

R: Non, à condition que l'électricité qui l'alimente ne vienne pas de source polluante, comme au Québec.

Q: Comment recharge-t-on un Segway?

R: En le branchant tout simplement dans une prise de courant.

Q: Pourquoi le Segway est-il interdit?

R: Parce qu'aucune loi et aucun règlement ne s'appliquent au Segway. Pour la SAAQ et la police de Montréal, il s'agit donc pour l'instant d'un «véhicule jouet motorisé». En théorie, la police de Montréal remet donc un constat d'infraction de 154$ aux propriétaires de Segway. «Dans la réalité, on leur demande plutôt de quitter la voie publique», explique Nathalie Lavoie, du Service de police de la Ville de Montréal.

Q: Peut-on mettre un Segway dans une auto?

R: Dans une grosse auto, oui. Mais il faut s'y prendre à deux vu son poids. Notons que, en janvier dernier, General Motors a dévoilé à Detroit un prototype d'auto pour propriétaires de Segway, la Saturn Flextreme. Elle possède un coffre muni de rampes pour accueillir deux de ces engins, qui peuvent ensuite être rechargés directement dans l'auto.