Un projet de loi sur l'audiovisuel du gouvernement de Cristina Kirchner divise l'Argentine, le pouvoir et ses alliés vantant la lutte contre les monopoles tandis que l'opposition et les principaux médias dénoncent une main-mise sur la presse.

Le texte en discussion à la Chambre des députés a été interprété comme un nouveau chapitre dans le conflit qui oppose Mme Kirchner et son époux l'ancien président Nestor Kirchner (2003-2007) à Clarin, principal groupe multimédia du pays et critique féroce de la politique gouvernementale. Ce dernier aura, si le projet devient loi, un an pour choisir entre se défaire de ses chaînes hertziennes ou de ses chaînes câblées.

Le projet interdit en effet au propriétaire d'une chaîne de télévision hertzienne de posséder en même temps une chaîne câblée dans la même zone. Il prévoit par ailleurs que des organisations non gouvernementales accèdent à un tiers de l'espace audiovisuel, à égalité avec les médias publics et privés.

«On ne peut pas confondre liberté de la Presse et liberté des patrons de presse», a dit Mme Kirchner, dont le parti a subi une déroute fin juin aux législatives de mi-mandat. Son gouvernement souligne que la loi actuelle, datant de 1980, a été adoptée pendant la dernière dictature (1976-1983).

Ethel Pis Diez, de l'Université Australe, relève toutefois que «c'est la réforme de 1999 qui a permis la formation de groupes multimédia et l'entrée des capitaux étrangers». De ce point de vue, le nouveau projet de loi «se rapproche du texte original» de l'époque des militaires, dit-elle.

La polémique entre Clarin et le gouvernement a éclaté en août lorsque l'État a nationalisé les droits de retransmission du football jusque-là entre les mains de la Television Satelital Codificada, liée au groupe Clarin.

Ces nouvelles règles pour l'audiovisuel viendront affaiblir davantage le groupe multimédia. La question est de savoir qui en seront les bénéficiaires. Le projet de loi ouvre le marché de la télévision par câble aux grandes compagnies de téléphone: Telefonica, Telecom et Telmex.

«La politique de l'État ne peut être guidée par des conflits d'intérêt et encore moins par les affaires des amis du pouvoir: c'est scandaleux», a déclaré le député élu de Projet Sud (gauche) et metteur en scène, Fernando «Pino» Solanas.

L'un des responsables de Clarin, Jorge Rendo, a dénoncé un projet «guère progressiste, puisqu'il fera taire certains médias et rendra les autres plus vulnérables».

L'idée, prévue par le texte, de charger de l'octroi des licences d'exploitation un organisme contrôlé par le pouvoir est, elle, critiquée y compris parmi les alliés de gauche des Kirchner.

«Cela met en danger la liberté d'expression», estime le constitutionnaliste Roberto Gargarella, de l'Université de Buenos Aires.

La réaction de l'opposition est d'autant plus vive que le gouvernement, qui n'aura plus de majorité dans les chambres après le 10 décembre, choisit la guerre éclair pour passer en force.

«Adopter ce projet de loi en une semaine serait une honte», a dit la députée élue de l'Accord Civique et Social (social-démocrate) Margarita Stolbizer.

Le dernier mot reviendra sans doute, comme lors du conflit avec les agriculteurs en juillet 2008, au vice-président, Julio Cobos, également président du Sénat. Lui, qui avait alors voté contre son propre gouvernement, fera-t-il traîner les discussions jusqu'au 10 décembre, date du renouvellement des chambres ? «Il faudrait que la décision revienne au nouveau Congrès», a-t-il prévenu.