Menottés à leurs gardiens, Mikhaïl Khodorkovski et son coaccusé Platon Lebedev sont entraînés vers la salle d'audience. «Liberté! Liberté!» scandent leurs partisans, massés dans l'étroit couloir du tribunal.

Les deux hommes esquissent un sourire de gratitude. De leur main libre, ils serrent chaleureusement au passage celles de leurs proches. Après sept années de bagne et 20 mois de procès, le moral ne les a pas quittés.

C'est que l'ex-patron de la défunte pétrolière Ioukos et son bras droit ne se sont jamais considérés comme des criminels. S'ils ont été arrêtés dans un aéroport de Sibérie en octobre 2003, c'était selon eux parce qu'ils avaient osé financer l'opposition au président d'alors, Vladimir Poutine, devenu depuis premier ministre.

Non pas donc pour escroquerie à grande échelle et évasion fiscale, accusations dont ils ont été reconnus coupables en 2005. Ni pour détournement et revente illégale de pétrole, objet de leur deuxième procès, entamé alors que leur peine tirait à sa fin et qu'il devenait de plus en plus difficile de leur refuser une libération conditionnelle.

Mikhaïl Khodorkovski ne cesse de dénoncer un procès «absurde». Mais mercredi, dans son plaidoyer final de plus de deux heures, il a tout de même entrepris de démonter méticuleusement la preuve des procureurs. Même s'il ne croit pas à l'indépendance du tribunal, il semblait prendre un malin plaisir à prouver les incohérences de l'accusation, parsemant son réquisitoire de blagues sarcastiques prononcées à demi-voix. Dans la salle, partisans, proches, opposants et défenseurs des droits de la personne venus l'encourager riaient de ses pointes d'humour. Le juge Danilkine et les procureurs restaient quant à eux de glace.

«Il a été seulement prouvé que j'avais dirigé Ioukos et que ses employés m'étaient subordonnés», a notamment ironisé Khodorkovski, accusé d'avoir caché à ses actionnaires la vente de 218 millions de tonnes de pétrole pour encaisser seul les profits.

Une semaine auparavant, l'accusation faisait toujours état d'un vol de 350 millions de tonnes d'or noir. Mais durant leur plaidoyer, les procureurs ont soudainement soustrait plus du tiers de la quantité de pétrole présumément dérobée, évoquant une «erreur arithmétique durant l'enquête» et un «manque de preuves». Ils ont tout de même requis une peine de 14 ans de pénitencier, en tenant compte du temps déjà purgé. Un verdict de culpabilité pourrait ainsi laisser Khodorkovski, 47 ans, et Lebedev, 53 ans, derrière les barreaux jusqu'en 2017.

Après la fin des audiences lundi, le juge Danilkine devrait prendre deux mois pour décider du verdict et deux autres pour annoncer la peine.

L'affaire de Poutine

La plupart des observateurs doutent toutefois que le sort des deux hommes repose réellement dans les mains du magistrat moscovite. Selon un sondage, seuls 19% des Russes croient à l'indépendance du juge Danilkine.

Selon l'opposant Garry Kasparov, le procès Khodorkovski est avant tout «l'affaire de Poutine». Une vengeance personnelle. De son côté, le président Dmitri Medvedev, l'autre moitié du tandem au pouvoir, serait plutôt enclin à une libération des deux hommes d'affaires. Il a d'ailleurs récemment fait alléger les peines encourues pour des crimes économiques dans le code criminel.

«Ce n'est pas clair qui décide (entre Poutine et Medvedev). Le jugement ne sera pas le même dépendamment de qui prend la décision», a indiqué mercredi à La Presse l'ex-champion d'échecs, en marge des audiences.

Lioudmila Alekseïeva, présidente du groupe Helsinki, estime pour sa part qu'un acquittement - peu probable - «signifierait un retour dans le temps», soit avant les années Poutine marquées par un autoritarisme grandissant.

Selon l'infatigable défenseresse des droits de la personne de 83 ans, «le procès Khodorkovski a ralenti non seulement le développement politique de la Russie, mais aussi économique».

«Je comprends qu'il s'est comporté comme les autres hommes d'affaires (durant les privatisations des années 90), mais à l'époque les règles étaient chaotiques», justifie-t-elle, en référence à l'origine nébuleuse des premiers millions de l'oligarque déchu. Avant son arrestation, note-t-elle, le PDG de Ioukos avait toutefois entrepris de rendre plus transparente sa société afin de pouvoir la lancer sur les marchés mondiaux, une première en Russie. Il avait aussi dénoncé la corruption qui gangrène encore aujourd'hui le pays.

Lors d'un récent forum d'investisseurs étrangers, le premier ministre Vladimir Poutine a d'ailleurs dû répondre aux entrepreneurs qui citaient l'exemple Khodorkovski pour exprimer leurs craintes d'investir en Russie.

Sept ans après son arrestation, Mikhaïl Khodorkovski demeure une épine au pied du Kremlin, et semble plus fort que jamais. «Ce n'est pas facile de grandir en tant qu'humain en prison, explique Mme Alekseïeva, ex-dissidente soviétique. Certains deviennent plus forts, d'autres se brisent. Dans son cas, ils en ont fait un héros.»