«Je plaide coupable, votre honneur.» Un après l'autre, les 10 hommes et femmes, accusés d'avoir comploté comme agents secrets aux États-Unis pour le compte de la Russie, ont répété ces mots devant la juge fédérale Kimba Wood, jeudi après-midi, dans un tribunal de Manhattan. Après les avoir condamnés à une peine de prison correspondant aux jours déjà passés en détention depuis leur arrestation, le 27 juin, la magistrate a aussitôt ordonné leur expulsion vers la Russie.

Il n'en fallait pas plus pour mettre en branle le plus important échange d'espions depuis la fin de la guerre froide et en finir avec une affaire qui éclaboussait les relations bilatérales entre Washington et Moscou depuis près de deux semaines.

En retour de ses 10 agents - un 11e est toujours recherché -, la Russie a accepté de libérer quatre prisonniers accusés d'avoir espionné pour le compte de services de renseignement occidentaux. Les autorités n'ont pas dévoilé leur identité, mais les médias croient savoir que quatre Russes font partie de l'accord, dont le scientifique Igor Soutiaguine, arrêté en 1999 pour espionnage au profit des Américains et des Britanniques.

Le quatuor inclurait également deux ex-agents du renseignement russe accusé d'avoir travaillé pour la CIA : Alexandre Sypatchev, condamné en 2002 à huit ans de détention, et Alexandre Zaporojski, qui purge depuis 2003 une peine de dix-huit ans de prison.

L'ex-colonel du renseignement militaire russe, Sergueï Skripal, condamné en 2006 à 13 ans de prison pour espionnage au profit de la Grande-Bretagne, compléterait ce groupe.

Tout comme Soutiaguine, un expert de l'armement nucléaire, les trois espions présumés devaient être expulsés jeudi vers l'Autriche.

Dénouement rapide

Même si l'affaire rappelle la guerre froide, la rapidité de son dénouement témoigne de la volonté de Washington et de Moscou de ne pas retourner aux tensions de l'époque.

«Les deux pays veulent conserver des relations amicales et ne pas nuire au redémarrage» lancé par Barack Obama, a déclaré Viktor Kremeniouk, directeur adjoint de l'Institut des États-Unis et du Canada de l'Académie russe des sciences.

L'expulsion rapide des agents russes exposera cependant le président américain à des critiques aux États-Unis.

«Les Russes ont passé leur message à propos de Soutiaguine en le gardant emprisonné pendant 11 ans», a déclaré Stephen Sestanovich, un spécialiste de la Russie, en faisant allusion au chercheur russe, qui a toujours clamé son innocence. «Quel message passons-nous en gardant ces gens en détention pendant 10 jours ?»

Le démantèlement d'un réseau d'espionnage présumé au profit de la Russie était l'aboutissement de 10 ans d'enquête du FBI. Surnommés les «Illégaux», les membres du groupe avaient été envoyés aux États-Unis sous de fausses identités par la SVR, l'un des avatars du KGB, selon les autorités américaines. Ils avaient pour objectif de «devenir suffisamment américanisés afin de pouvoir recueillir des informations sur les États-Unis pour la Russie et recruter des sources qui font partie, ou sont capables d'infiltrer les milieux dirigeants américains», selon l'acte d'accusation établi par le ministère de la Justice.

Anna Chapman

Même si les espions présumés utilisaient tous les trucs du métier - messages codés, faux passeports et gadgets dernier cri, entre autres -, ils ne semblent pas avoir percé un seul secret véritable. Ils n'en ont pas moins enflammé l'imagination du public, qui s'est notamment intéressé à Anna Chapman, une jeune femme de 28 ans à la chevelure rousse flamboyante dont les photos ont fait fureur sur l'internet et dans les tabloïds de New York.

Chapman, qui se présentait comme une femme d'affaires, est l'une des cinq personnes arrêtées à New York dans le cadre du coup de filet du FBI. Les autres ont été interpellées à Boston ou à Alexandria, en Virginie. Plusieurs d'entre elles ont des enfants.

Un seul membre des «Illégaux» n'aurait pas vu le jour en Russie. Il s'agit de Vicky Pelaez, qui travaillait comme chroniqueuse dans un quotidien hispanique de New York. Son avocat a déclaré en cour jeudi qu'elle a reçu du gouvernement russe plusieurs garanties concernant son transfert en Russie. Elle aura notamment droit à un logement gratuit, à 2000 $ par mois à vie et à des visas pour ses enfants.

- Avec la collaboration de Frédérick Lavoie