Des membres de la communauté juive d'Amsterdam affirment qu'ils sont régulièrement la cible d'attaques antisémites lorsqu'ils circulent dans la ville. Au point de devoir éviter certains quartiers. La police songe à utiliser des agents déguisés en Juifs pour contrer le phénomène, rapporte notre correspondant.

Ahmed Marcouch pense qu'il est urgent de prendre les grands moyens pour contrer l'antisémitisme à Amsterdam.

«Quand on est rendu au point où des gens ont peur de marcher dans la rue avec leur kippa, il faut faire preuve de créativité», confie ce député d'origine marocaine.

Il a lancé il y a quelques semaines l'idée de déguiser certains policiers en Juifs pour pouvoir prendre sur le fait les responsables de délits antisémites, souvent de jeunes immigrants musulmans qui «ne connaissent pas l'Histoire, ni l'Holocauste».

La suggestion de M. Marcouch, appuyée par le maire de la ville, faisait suite à la diffusion sur une chaîne locale d'une vidéo montrant un rabbin se faisant apostropher par des jeunes dans le quartier d'Amsterdam Ouest.

Le document, plutôt confus, montre que certains d'entre eux crient «Juif» à son passage. L'un des jeunes semble dresser le bras dans le but d'imiter le salut nazi.

Ces images n'ont pas étonné outre mesure le rabbin Raphael Evers, qui affirme être régulièrement harcelé lorsqu'il sort dans la rue.

«Ça m'arrive même ici dans mon quartier, qui est pourtant très paisible», souligne l'homme de 56 ans, facilement identifiable comme Juif en raison de sa tenue vestimentaire traditionnelle.

Une survivante d'Auschwitz harcelée

«On entend souvent «Hamas, Hamas, les juifs au gaz»... Il y a quelques années, deux jeunes d'origine turque m'ont dit que Hitler aurait dû finir le travail», indique le religieux, qui évite certains quartiers à forte immigration «méditerranéenne» par crainte d'être agressé.

Il est favorable à l'idée d'utiliser des agents de police déguisés. «Souvent, les jeunes sont pratiquement impossibles à prendre. On n'a pratiquement pas d'information à donner à la police puisque tout se passe très vite», dit-il.

Sa mère, Bloeme Evers, survivante d'Auschwitz, a été confrontée à des difficultés similaires il y a quelques années dans le quartier d'Amsterdam Ouest, où plusieurs fidèles étaient harcelés en se rendant à la synagogue.

Les hommes se faisaient retirer leur kippa par de jeunes immigrants, d'autres criaient des insultes. «Il est très triste et très frustrant pour moi d'être confrontée à une recrudescence d'antisémitisme... Il faut la combattre de toutes les manières possibles», indique la femme de 84 ans.

Comme elle, des dizaines de milliers de Juifs des Pays-Bas ont été déportés vers les camps d'extermination durant la Seconde Guerre mondiale. Seuls 40 000 ont survécu, sur une population totale de 140 000.

Erwin Brugmans, qui fréquente la même synagogue que Mme Evers, dit que la situation dans le quartier s'est beaucoup améliorée aujourd'hui. Au plus fort des tensions, des contacts ont été pris avec des membres de la communauté marocaine, très importante, pour tenter de faire cesser les comportements problématiques des jeunes du quartier.

«La façon de régler les problèmes est de sortir de sa chaise et de parler avec la communauté musulmane. Ça donne des résultats», dit M. Brugmans, qui reproche aux médias de dramatiser la situation.

Antisémitisme jugé légitime

Le Center for Information and Documentation Israël (CIDI), un institut de La Haye qui collige des données sur l'antisémitisme, affirme que le nombre d'incidents augmente légèrement depuis plusieurs années. Et qu'il monte en flèche lorsque le conflit israélo-palestinien entre dans des périodes de crise.

Il semble y avoir une perception «largement répandue» parmi les immigrants musulmans que «l'antisémitisme est une réponse légitime aux actions d'Israël», dit Elise Friedmann, une recherchiste de l'organisation.

Radar, une organisation de Rotterdam qui lutte contre la discrimination, souligne que les études les plus récentes n'indiquent pas de flambée d'antisémitisme.

Il n'est pas rare cependant d'entendre des jeunes faire des commentaires antisémites lors de visites dans les écoles, souligne un porte-parole de l'organisation, Thiko Ong. Un sondage a démontré qu'un enseignant d'histoire sur cinq peine à aborder en classe l'Holocauste en raison des réactions négatives des élèves.

La police d'Amsterdam ne dispose pas de données précises sur l'évolution de l'antisémitisme. «La perception est largement répandue dans la société que le problème est en hausse, mais ce n'est pas nécessairement le sentiment de la police», souligne une porte-parole, Chermain Van Damme.

Les forces de l'ordre, dit-elle, attendent de voir ce que décidera le milieu politique relativement à l'utilisation d'agents déguisés avant d'envisager comment procéder.

«Ce n'est pas du tout usuel pour nous de déguiser des agents. Nous avons toutes sortes de méthodes d'enquête, mais pas celle-là», souligne Mme Van Damme.

Bloeme Evers est prête à toutes les éventualités, quoi que fasse la police. «Avec tout ce que j'ai surmonté dans ma vie, je suis bien au-delà de la peur», dit la vieille dame.