Payer des insurgés pour avoir la paix est une pratique officiellement niée, mais répandue à relativement grande échelle parmi les forces de l'OTAN en Afghanistan, selon des sources militaires occidentales et afghanes, alors que l'Italie a démenti jeudi y avoir eu recours.

Le quotidien britannique The Times affirme jeudi que les 10 soldats français tués dans une embuscade en Afghanistan en août 2008 avaient mal évalué les risques, parce que les militaires italiens qui les avaient précédés ne leur avaient pas dit qu'ils payaient les talibans pour maintenir la paix dans leur région de Saroubi, près de Kaboul. Dans un communiqué, le gouvernement italien a démenti avoir «jamais autorisé ni consenti aucune forme de paiement d'argent aux membres de l'insurrection talibane en Afghanistan».

Un haut gradé afghan a laissé entendre le contraire.

«Nous savions que les forces italiennes payaient l'opposition (armée) en Saroubi pour ne pas être attaquées. Nous avons des informations sur des accords similaires dans la province de Herat (ouest) par les forces italiennes» basées là-bas, a-t-il déclaré sous couvert d'anonymat.

Un porte-parole de l'armée française à Kaboul, le lieutenant-colonel Jackie Fouquereau, a assuré que «les Français ne donnent pas d'argent aux insurgés».

Le général Eric Tremblay, porte-parole de l'OTAN en Afghanistan, a dit n'être «pas au courant» de ces pratiques de manière générale, et n'avoir pas d'information concernant le cas italien.

«Ce n'est pas une pratique de contre-insurrection. (...) Mais le gouvernement afghan peut parfois faire des arrangements locaux. Si c'est pratiqué, c'est plus par le gouvernement afghan que par les forces internationales», a-t-il assuré.

Mais selon divers officiers occidentaux et afghans sous couvert d'anonymat, cette pratique, visiblement politiquement sensible, est assez largement répandue au sein de l'OTAN en Afghanistan.

Une source militaire occidentale a évoqué des payements effectués par les soldats canadiens stationnés dans la violente province de Kandahar, dans le sud, tandis qu'un autre officier parlait de pratiques similaires par l'armée allemande dans le nord, à Kunduz.

«Beaucoup de pays de l'OTAN dont les soldats opèrent dans les zones rurales d'Afghanistan payent les insurgés pour ne pas être attaqués (...) à l'exception des forces américaines, britanniques et de l'opération Enduring Freedom» sous commandement américain, explique le haut gradé afghan.

Selon lui, «plus de la moitié des forces de l'OTAN déployées dans la campagne afghane ont passé de tels accords» de paiements en échange de leur tranquillité.

Sans vouloir chiffrer aussi précisément l'étendue de la pratique, un officier occidental explique que «comme ce n'est pas très valorisant et pas reconnu officiellement, on n'ose pas toujours en parler clairement, on a un peu honte... Du coup, parfois ça communique mal entre l'ancienne unité sur place et la nouvelle unité venant la relever», comme ce qui s'est peut-être passé entre les Italiens et les Français.

Selon The Times, les services secrets italiens avaient versé des dizaines de milliers de dollars aux commandants talibans et aux seigneurs de guerre locaux pour maintenir en paix la région de Saroubi.

Les soldats français étaient déployés depuis à peine un mois quand 10 d'entre eux furent tués et 21 blessés, le 18 août 2008, dans une des embuscades les plus meurtrières tendues par les insurgés contre les forces internationales.