Un ministre libanais vient de proposer d'interdire les ventes immobilières entre chrétiens et musulmans pour une durée déterminée. Le projet divise profondément le pays, raconte notre collaborateur à Beyrouth.

Un projet de loi du ministre libanais du Travail suscite depuis quelques jours des débats passionnés au pays du Cèdre. Le ministre a lancé tout un pavé dans la mare en proposant d'interdire pour 15 ans les transactions immobilières entre chrétiens et musulmans. Un sujet littéralement explosif.

En cas d'infraction, le projet de loi prévoit notamment une peine de 5 à 10 ans de prison.

La proposition, aussi aberrante qu'elle puisse paraître, affiche en fait un objectif bien déterminé: protéger une communauté chrétienne «en danger», en empêchant la vente de biens immobiliers chrétiens à des musulmans dans certaines régions mixtes du pays. Le but étant de préserver la «mosaïque libanaise».

Mais c'est en fait surtout la communauté chiite - où le Hezbollah jouit d'une très forte influence - qui semble visée.

La révélation, en octobre dernier, par une télévision libanaise de la vente d'un terrain de plus de 10 000 m2 dans une banlieue chrétienne de Beyrouth à une association liée au Hezbollah semble avoir précipité la réflexion du ministre.

«Il existe une offensive politique chiite qui consiste à acheter progressivement tous les terrains, à des prix supérieurs à ceux du marché, pour créer des îlots à l'intérieur des régions chrétiennes. Ce mouvement est facilité par l'afflux de capitaux pétroliers étrangers énormes», soutient le député chrétien Fouad el Saad.

Contre la Constitution

«Si la loi est compréhensible politiquement parce qu'elle entend protéger les chrétiens, elle se heurte à la Constitution libanaise qui garantit le droit de propriété individuel et permet à tout Libanais de résider où il veut sur le territoire», explique toutefois le député.

«La proposition de loi a été lancée par le ministre afin d'ouvrir un débat et ne prétend pas nécessairement apporter une solution définitive. Elle a de toute façon peu de chances d'être votée au Parlement», estime le politologue Sami Nader.

Les réactions au projet du ministre ont été parfois houleuses, le chef de la communauté druze Walid Joumblatt le qualifiant tout bonnement de «fou», mais dans l'ensemble, elles ont plutôt été mesurées sur un sujet pourtant aussi sensible.

Les Libanais, comme leurs politiciens, sont également divisés par l'idée. «Nous n'avons plus les moyens de résister à la pression financière des musulmans. Nous risquons de devenir des réfugiés dans notre propre pays ou d'émigrer. Ce projet exprime tout haut ce que tout le monde pense tout bas», explique Najat, une habitante du quartier chrétien d'Achrafieh, à Beyrouth.

«Cette proposition est dangereuse, car elle fait pour la première fois depuis la fin de la guerre civile une distinction entre chrétiens et musulmans. Elle risque de nous monter les uns contre les autres. Nous sommes avant tout libanais, sans distinction de religion», estime au contraire Nassib, un libraire de 35 ans.