Au cours des dernières semaines, plusieurs cyberdissidents syriens ont pris le chemin du Liban, afin d'échapper à la répression des services de sécurité. Rencontre à Beyrouth.

Assis à la terrasse d'un café beyrouthin, Kinan jette constamment des regards autour de lui, grillant nerveusement cigarette sur cigarette. Comme si une voiture des Moukhabarat, les services de renseignements syriens, pouvait surgir à tout moment.

«Je ne me sens pas en sécurité, car la Syrie a gardé de nombreux alliés au Liban», explique-t-il. Journaliste pigiste et dissident, Kinan a quitté Damas il y a une semaine, par crainte d'être interpellé par les services de sécurité syriens.

Depuis le début des manifestations à Deraa dans le sud du pays, il a créé une cellule avec deux amis, afin de relayer la contestation naissante. «Des informateurs à Deraa nous fournissaient images et nouvelles d'heure en heure. Nous avons créé un faux compte Facebook et nous avons divulgué ces informations sur le net et à de nombreux médias», raconte Kinan, 33 ans.

Les dissidents ont aussi lancé sur Facebook un appel à manifester devant le palais de justice de Damas, le 22 mars. Le jour de la manifestation, un des trois dissidents n'était pas au rendez-vous. Les services de renseignement l'avaient interpellé à son bureau. Kinan et son ami ont alors décidé de partir immédiatement pour Beyrouth.

Pour «transmission d'informations erronées ou exagérées affaiblissant le sentiment national», les tribunaux militaires syriens prévoient des peines de quelques mois à plusieurs années de prison. «J'espère revenir en Syrie très bientôt, car ce mouvement ne va pas s'arrêter. Quand les gens perdent un frère, un fils, un neveu, ils n'ont plus peur de descendre dans la rue. Ils défendent leur honneur et leur dignité», explique le dissident.

Génération Facebook

Malath Aumran (son pseudo sur Facebook) fait aussi partie de cette nouvelle génération de cyberdissidents syriens qui a émergé à partir de 2005. Il a dû fuir son pays en janvier. Il y a plusieurs années, il soutenait ardemment Bachar al-Assad, mais un crime d'honneur qui a touché l'une de ses connaissances et qui a été seulement puni de six mois de prison l'a révolté. «J'ai commencé à m'informer sur l'internet sur les crimes d'honneur, et j'ai découvert d'autres informations sur les prisonniers politiques, la corruption. J'ai réalisé que le régime cachait la vérité aux Syriens», affirme Malath.

Avec une dizaine de dissidents, il organise différentes campagnes sur Facebook à partir de 2009, à l'aide d'intermédiaires, afin de contourner l'interdiction du réseau social. Notamment un boycottage des sociétés de téléphonie cellulaire, dont Syriatel, possédée par Rami Makhlouf - influent cousin de Bachar al-Assad - ou la campagne Kafa Samtan, «Assez de silence», qui a appelé l'année dernière les Syriens à manifester devant les ambassades étrangères contre l'état d'urgence en vigueur depuis 1963.

«Avant les événements de Tunisie, nous avions du mal à mobiliser des jeunes, mais avec les révoltes dans le monde arabe et la levée de l'interdiction de Facebook, des dizaines de milliers de Syriens se sont inscrits avec des pseudonymes», se réjouit Malath. Le dissident de 27 ans, après avoir été interrogé une quarantaine de fois par différents services de sécurité, s'est vu interdire de quitter le territoire syrien. Après un mois caché à Damas, il a donc décidé de franchir la frontière syro-libanaise illégalement, en versant 500$ à des passeurs. Il vit désormais chez des amis libanais. «Si je retourne en Syrie maintenant, je ne risque pas trois, mais dix ans de prison», assure le jeune homme, un sourire amer aux lèvres.