Les jeunes que nous recevons à la Bàl ont non seulement des difficultés en lecture et en écriture, mais se révèlent également «hypothéqués» sur le plan humain. La grande majorité d'entre eux proviennent de milieux défavorisés, c'est-à-dire de familles dont le capital économique, social et culturel est déficient : difficultés à se loger, à se nourrir, à se vêtir, parents sous-scolarisés, absence de stimulation à la maison, violence.

Les jeunes que nous recevons à la Bàl ont non seulement des difficultés en lecture et en écriture, mais se révèlent également «hypothéqués» sur le plan humain. La grande majorité d'entre eux proviennent de milieux défavorisés, c'est-à-dire de familles dont le capital économique, social et culturel est déficient : difficultés à se loger, à se nourrir, à se vêtir, parents sous-scolarisés, absence de stimulation à la maison, violence.

De plus, sur le plan scolaire, ces jeunes ont été rapidement étiquetés, pour une large part, dès le premier cycle du primaire, comme ayant des troubles de comportements ou des troubles d'apprentissage, et se sont retrouvés dans les classes spéciales tout au long de leur parcours scolaire.

Leur vie familiale et scolaire a été trop souvent semée d'embûches, et ils se retrouvent, jeunes adultes sous-scolarisés, en détresse psychologique, isolés et exclus de la société. Plusieurs d'entre eux ont développé des dépendances aux drogues, à l'alcool, aux médicaments, ou autres. De plus, peu d'entre eux parviennent à intégrer le marché du travail de façon durable. Les emplois qu'ils occupent sont de courte durée, mal rémunérés et d'une précarité alarmante.

Notre expertise depuis 25 ans nous démontre que les jeunes passés par la Bàl et provenant des classes spéciales se sont construits par leurs étiquettes, par leurs difficultés, et leur soi-disant incapacité à fonctionner avec les autres, soit ceux des classes régulières. Cette construction s'est faite par l'identification à leurs manques, ils en ressortent donc grandement «hypothéqués» sur le plan humain.

Les classes spéciales sont présentées comme étant adaptées pour les jeunes en difficulté. Mais comment peut-on affirmer cela quand présentement, aucune statistique n'est disponible au ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport touchant le taux de réussite ou d'échec scolaire des jeunes ayant cheminé dans les classes spéciales ? Cette absence de données nous apparaît extrêmement préoccupante. La ministre peut-elle, preuves à l'appui, démontrer très clairement que les classes spéciales conduisent les jeunes vers une réussite? Comment peut-elle continuer à privilégier ce type de parcours quand son ministère n'est pas en mesure de savoir si cela donne des résultats positifs?

Comme nous n'arrivons pas à obtenir de statistiques à ce sujet, notre réflexion se base sur nos observations depuis 1983. Elles nous démontrent qu'ils en ressortent analphabètes, en détresse psychologique, isolés, sans diplôme et exclus de la société.

Nous sommes en accord avec la position des acteurs du milieu de l'éducation qui considèrent ne pas avoir les conditions nécessaires à une inclusion réussie. Toutefois, là où notre position diffère, c'est que plutôt que de viser l'inclusion, très souvent les acteurs du milieu de l'éducation se rabattent sur les classes spéciales donc l'exclusion, une «solution» connue, qui toutefois, toujours selon notre expérience, ne fonctionne pas.

L'école, le seul système obligatoire pour tous au Québec, est présentement un miroir des inégalités sociales. Comprenons bien nos propos, nous ne disons pas que l'école ou le système d'éducation produit les inégalités sociales, nous disons qu'elle continue à reproduire ces inégalités en fonctionnant comme elle le fait actuellement, en créant un parcours parallèle aux classes régulières.

Ce que nous avons constaté, c'est que ce parcours «spécial» engendre des effets négatifs chez les jeunes: représentation négative de lui-même, difficultés à entrer en relation avec les autres, difficultés majeures en lecture et en écriture, manque flagrant de connaissances, très faible estime de lui-même.

Nous souhaiterions que les acteurs du milieu de l'éducation valorisent l'inclusion des enfants en difficulté dans les classes régulières en exprimant haut et fort leurs besoins, afin que cette inclusion soit viable et réussie autant pour les professeurs que pour l'ensemble des élèves.

Qu'attendons-nous pour reconnaître que le système d'éducation au Québec n'est pas un système à deux vitesses, soit le privé et le public, mais bien à trois vitesses: le privé, le public et la voie de garage, celle des classes spéciales pour les élèves des milieux défavorisés?

* Les auteures sont respectivement coordonnatrice et personne-ressource en animation et recherche à la Boîte à lettres de Longueuil (Bàl), un organisme en prévention de l'analphabétisme et en alphabétisation pour les jeunes de 16 à 25 ans. Elles réagissent aux propos de la ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne, publiés dans le reportage «Davantage de classes spéciales pour les élèves en difficulté» (La Presse, 22 avril).