La multiplication des attaques venant de la droite à l'endroit des syndicats permet de constater qu'il existe un malaise au Québec vis-à-vis de ces organisations. Nous condamnons les critiques radicales du syndicalisme, qu'elles résultent de la paranoïa d'un Réseau Liberté Québec, selon lequel les syndicats contrôleraient le Québec, ou encore du discours pseudo-scientifique de l'Institut économique de Montréal, pour qui les syndicats ne seraient qu'un frein à la croissance.

La multiplication des attaques venant de la droite à l'endroit des syndicats permet de constater qu'il existe un malaise au Québec vis-à-vis de ces organisations. Nous condamnons les critiques radicales du syndicalisme, qu'elles résultent de la paranoïa d'un Réseau Liberté Québec, selon lequel les syndicats contrôleraient le Québec, ou encore du discours pseudo-scientifique de l'Institut économique de Montréal, pour qui les syndicats ne seraient qu'un frein à la croissance.

Certes, il existe des problèmes en lien avec la pratique du syndicalisme au Québec: le cas de la collusion entre la FTQ-Construction et certains entrepreneurs l'illustre bien. Mais si certaines critiques sont fondées et méritent d'être approfondies, la valeur et la raison d'être des syndicats restent inchangées.

Au-delà de l'amélioration des conditions de travail, le syndicat joue un rôle crucial au quotidien en changeant la structure du travail de manière à accorder aux travailleurs un pouvoir qui leur revient. Au strict minimum, le syndicat empêche que les employés soient à la total merci de l'employeur. Ose-t-on imaginer un instant ce qui serait advenu du Journal de Montréal et de ses employés sans le syndicat pour entraver un tant soit peu la gestion cavalière de Quebecor?

Mais il importe de souligner que les syndicats ne sont pas aussi puissants que leurs détracteurs acharnés le disent. Bien qu'il dise le contraire, le Front commun SISP-CSN-FTQ a essuyé un cuisant revers au terme des négociations du secteur public en juin 2010, en faisant plusieurs concessions qu'il avait initialement exclues. Même le gouvernement du Québec avait prévu, dans sa planification budgétaire, une plus grande hausse des salaires que ce qui a été accordé au bout du compte!

L'exemple du Journal de Montréal devrait être encore plus éloquent: malgré la campagne massive de la CSN, qui a coûté plus de 7 millions de dollars, seulement le quart des employés en lock-out retrouveront leur emploi. Existe-t-il encore une seule personne qui soutiendrait avec sérieux que l'on vit dans une époque de mainmise syndicale sur l'ensemble de la province?

Par ailleurs, prétendre que les syndicats seraient trop puissants, c'est sous-entendre que les patrons devraient avoir le dernier mot en toute chose, que la majorité des gens, qui travaillent en tant qu'employés, devrait abdiquer son pouvoir au profit d'une petite poignée d'individus.

La question du syndicalisme n'est pas seulement une affaire de colonnes comptables: c'est une question morale posée à l'endroit du pouvoir de tout individu et de tout groupe au sein d'un milieu de travail. Les syndicats, dans le contexte économique actuel, agissent comme un contre-pouvoir permettant un certain équilibre entre les intérêts en jeu.

La réponse aux critiques généralement adressées aux syndicats se trouvera dans un recentrage sur sa mission première: donner une voix à l'employé. La mission syndicale ne se restreint pas à la stricte amélioration des conditions salariales et de quelques «avantages sociaux», mais bien à la prise en main et à la responsabilisation des travailleurs par rapport à leur travail. Cela implique que la direction ne devrait pas être la seule à prendre les décisions, dans une atmosphère complètement déconnectée de la réalité du travail sur le terrain. Il revient au syndicat, produit de ses membres, d'effectuer une représentation de ceux-ci dans la prise de décision.

À cet égard, l'Allemagne peut servir d'exemple. Des «conseils d'entreprise» formés de travailleurs (mais auxquels participent souvent indirectement les syndicats) prennent part activement à la gestion de plus de 85% des grandes entreprises privées allemandes. Dans certains domaines, cette instance jouit même de droits de «codétermination», garantis par la loi, qui rendent son consentement obligatoire. Les entreprises ne s'en portent pas plus mal: au contraire, plusieurs recherches ont démontré leurs effets bénéfiques pour leur santé financière.

C'est dire que, dans la mesure où il stimule l'implication dans l'entreprise, le syndicalisme peut et devrait être une voie de sortie de la passivité. Mais pour cela, il faudra cesser de chercher à éroder le pouvoir d'action des syndicats par des lois spéciales ou d'éventuelles modifications régressives du Code du travail. Ces solutions faciles et expéditives, dont certains à droite se font les porte-voix, sont socialement, politiquement et économiquement nuisibles.

Rappelons que les pays les plus syndiqués (Suède: 91%) sont aussi ceux où le taux de pauvreté est le plus bas en plus d'être parmi les pays les plus compétitifs économiquement selon l'OCDE.  Pour le bien de l'ensemble de la population, l'économie doit être réinvestie par l'action politique, et cela se fait par la prise de décision de la part de tous les acteurs concernés : le syndicat est un lieu privilégié de délibération et d'actions constructives.

* Les signataires sont: Laurence Ricard, étudiante en droit, Université McGill; Gabriel Boisclair, étudiant à la maîtrise en philosophie, Université de Montréal; Ludvic Moquin-Beaudry, étudiant à la maîtrise en philosophie, Université de Montréal; Arij Riahi, étudiante en droit, Université de Montréal; Daniel Blémur, étudiant à la maîtrise en philosophie, Université de Montréal; Martin Leblanc, professeur de philosophie, Collège Montmorency; Simon Guertin-Armstrong, étudiant au baccalauréat bidisciplinaire en science politique et philosophie, Université de Montréal; Pierre Legault, infirmier clinicien; Jean-François Demers, étudiant à la maîtrise en philosophie, Université de Montréal; Marie-Claude Perron, musicienne à l'OSQ et représentante syndicale (2007-2009); Alexandre Gajevic Sayegh, étudiant à la maitrise en philosophie, Université de Montréal; Vincent Riendeau, étudiant en droit, Université McGill; Jeanne Ricard, Droit international et relations internationales, UQAM; Martin Desrosiers, doctorant en philosophie, Université de Montréal/Paris-IV; Éric Sévigny, étudiant en philosophie, Université de Montréal; Olivier Huot-Beaulieu, étudiant en philosophie, Université de Montréal; William Ross, étudiant en philosophie, Université de Montréal; Eric Bellemare, étudiant en droit, Université McGill; Pascale Cornut St-Pierre, étudiante en droit, Université McGill; Gaétan-Philippe Beaulière; Véronique Dionne-Boivin, étudiante en droit, Université McGill; Frédérick Armstrong; Selma Skalli, étudiante en droit, Université McGill; Jimmy Simard, étudiant à la maîtrise en droit, Université de Montréal; Milène Leduc-Robillard; et Guillaume Bard, étudiant au doctorat en philosophie, Université de Montréal.