C'est le temps des impôts, et le fait que je n'en paie essentiellement pas pour 2010-pas de revenus, donc pas d'impôts-pour la première fois en 36 ans, m'incite certaines réflexions.

Membre de la toute première cohorte d'ingénieurs formés au Québec spécifiquement avec une option aéronautique (Sherbrooke, 1980; nous n'étions que huit), victime d'une suppression de poste après 26 ans de service, et de la morosité du secteur-mis à pied pour raison budgétaire deux autres fois par la suite-et ayant des difficultés à retrouver mon statut de contribuable actif, j'avoue me sentir un peu désabusé.

D'un côté, l'industrie aérospatiale appréhende une pénurie persistante de main-d'oeuvre, et ce dans tous les domaines, avec une relève insuffisante pour compenser les besoins actuels en plus des départs à la retraite qui devraient survenir au cours de la prochaine décennie. D'un autre côté, les gouvernements multiplient les incitatifs à repousser l'âge de la retraite et ajoutent aux pénalités pour ceux qui voudraient se prévaloir d'une retraite anticipée. On veut donc nous voir au boulot-et sans doute contribuer taxes et impôts-mais on semble peu disposé à favoriser l'embauche de ceux qui, au lieu d'avoir un manque d'expérience, en ont trop.

Une recherche rapide sur les sites internet d'emploi dans le domaine aérospatial montre des postes affichés demandant une expérience allant en général de 5 à 10 ans. Rarement 15. Pourquoi? Serait-ce parce que c'est plus facile à remplacer? Si quelqu'un se présente avec 25 ans d'expérience, sera-t-il seulement considéré?

Le domaine aéronautique est comme un lit de clous de fakir : un très grand nombre de domaines très pointus, qui ont une base commune mais sont essentiellement indépendants les uns des autres. Quand on cumule une expertise qui couvre plus d'une pointe, il semble que l'on se retrouve à passer entre les mailles. Que l'expérience se trouve sur une « pointe » bien pourvue, ou encore dans un domaine que l'on souhaite impartir, et on élimine sans arrière pensée les postes et on met à pied. Fournir une formation pour recycler les employés existants? Faire des efforts pour replacer à l'interne pour des postes en déficit de personnel? Bien sur que non, c'est pas notre problème...

Ma recherche d'un poste qui pourrait bénéficier de mon expertise et de mon talent est peu fructueuse. Peut-être suis-je peu doué dans ce domaine-après tout, je n'ai rien eu à chercher de ce côté pendant plus d'un quart de siècle-mais les «excuses»  savoureuses servies, ceci quand on daigne bien nous faire la faveur d'une réponse, sont à tout le moins déroutantes : « Nous n'avons pas le budget pour vous payer à votre juste valeur », « Vous allez vous ennuyer dans cette position », et ma préférée, « Si nous vous offrons le poste, vous aurez trouvé mieux dans deux ou trois mois et serez parti ». Plus d'un an après l'expiration des prestations d'assurance emploi, et toujours au chômage, on en mesure sans doute l'ironie...

Récemment, on a fait état d'un salon de l'emploi pour les personnes souffrant d'un handicap. Excellente idée. À quand un salon de l'emploi pour les surqualifiés? Pour les plus de 50 ans? Parce que si l'expertise ou l'âge sont semble-t-il considérés comme des handicaps, on ne peut compter sur la médecine ni sur un environnement adapté pour faire disparaître l'impact de la compétence et des années d'expérience. A quand donc un programme gouvernemental de soutient « embauchez un vieux »?

Je ne pense pas qu'il serait vraiment justifié de considérer travailler au salaire minimum chez McDo. Non pas que cela soit une mauvaise fonction, je l'ai fait pendant quatre ans quand j'étais étudiant, c'est d'ailleurs comme ça que j'ai financé mes études. Mais cela serait tourner le dos à plus d'un quart de siècle d'expérience en génie aéronautique, un sérieux gaspillage, il me semblerait. Et bien que je suis totalement ouvert à la possibilité d'oeuvrer dans un autre domaine, en espérant que cela soit un champ connexe pour que ces années d'expertise puissent quand même servir à quelque chose, je n'ai perdu ni le feu sacré, ni l'espoir de pouvoir encore contribuer au domaine du génie en général, et de l'aviation en particulier, si possible.

Je vis donc en ce moment de l'épuisement progressif, et pénible, de mes REER. Et je me tiens occupé en apprenant des langages de programmation supplémentaires, à mettre au point un logiciel de présentation de performance d'avion avec interface graphique capable de fonctionner sur un téléphone intelligent. J'y ajoute un cours de Catia V5; tant qu'à être surqualifié, aussi bien l'être dans plusieurs domaines, non?

Pourquoi je raconte tout ça? Parce que je viens de me rendre compte que je ne suis pas vraiment une exception. Croisé aux cours de Catia sus mentionnés, un ex-collègue, lui aussi de la même cohorte, qui a pas mal bourlingué-peut-être moins mal loti, mais c'est relatif, ces choses-là-et qui aussi se morfond en attendant qu'on lui offre un défi à relever. Deux sur huit, cela pourrait être comme une tendance.