Nous sommes le 1er octobre 2020. Manhattan a été frappé en plein coeur par un ouragan dévastateur, ce qui a obligé les États-Unis à héliporter loin de New York les chefs d'État de la planète réunis à l'Assemblée générale de l'ONU.

Contrit, le président américain prend la plume, le soir venu, et rédige quelques mots dans son journal personnel: «Le problème, c'est que nous espérions que cela ne se produirait pas, du moins pas tout de suite. Après tout, les scientifiques soutenaient que les pires effets des changements climatiques ne surviendraient que bien plus tard.»

 

Cette mise en scène n'a pas été imaginée par un auteur de politique-fiction, mais plutôt par la crème de la crème des services américains de renseignement, le National Intelligence Council. Organisme réunissant le FBI, la CIA et les autres agences du genre, ce dernier rédige aux quatre ans un important rapport destiné au président et aux décideurs, afin de dessiner les contours de l'avenir qui les attend.

Pourquoi en parler aujourd'hui? Parce que la plus récente version du document, dévoilé il y a quelques semaines, conclut que l'environnement et les changements climatiques auront un impact géopolitique majeur au cours des 15 prochaines années.

Plus significatif encore, ces enjeux se retrouvent dans le tout premier paragraphe de Global Trends 2025. On évoque dans le document une éventuelle pénurie d'eau et de nourriture, un déclin marqué de la production de pétrole, un bouleversement climatique incontrôlable ainsi qu'une multiplication des conflits liés à l'un ou à l'autre de ces graves problèmes.

«Le plus grand danger de tous, précise-t-on, pourrait venir de la convergence et de l'interaction simultanée de ces différentes tensions.»

Il ne s'agit pas là des prédictions de Greenpeace, mais bien de l'agence des agences américaines de renseignement, qui avait en quelque sorte prédit les attentats du 11-Septembre dans son rapport de 2000.

Ce document devrait donc se retrouver sur la table de chevet de tous les leaders de la planète, alors que s'amorcent les dernières négociations internationales sur le climat, dans la foulée de la Conférence de Poznan qui s'est terminée la semaine dernière.

On a beaucoup parlé, ces dernières semaines, des dangers que représenterait un réchauffement planétaire de plus de 2 degrés Celsius. Mais on a trop souvent esquivé les impacts géopolitiques d'une telle situation.

On parle de sécheresse, mais pas des guerres qui éclateront pour le contrôle des ressources comme l'eau. On parle du pic pétrolier, mais pas des conflits qui augmenteront avec le déclin de la production d'or noir. On parle de la montée des eaux, mais pas des problèmes politiques que représentera la multiplication des millions de réfugiés climatiques.

Il est donc intéressant de parcourir ce rapport - qui se lit d'ailleurs comme un roman de John le Carré -, afin de bien comprendre ce à quoi pourrait nous mener un accord international post-2012 aussi lénifiant que le protocole de Kyoto qu'il remplacera: essor des conflits liés aux ressources, multiplication par deux du nombre de pays aux prises avec de graves pénuries d'eau, prolifération des maladies causées par la pollution, emballement du dérèglement climatique, etc.

Dans son journal personnel d'octobre 2020, le président note sa «fierté» d'avoir contribué à étirer la période de prospérité sans précédent qu'a connue l'humanité. «Mais il est vrai que nous ne nous sommes pas suffisamment préparés pour faire face au coût environnemental de cette croissance irresponsable.»

Fiction? Ou réalité en devenir?