Je ne suis pas devin et il m'arrive de me tromper, mais permettez-moi tout de même d'oser une prédiction: Alex Kovalev ne rejouera plus pour le Canadien de Montréal.

Bob Gainey peut bien enrober sa surprenante décision tant qu'il veut. Il peut bien parler d'un repos de quelques jours. Il peut dire que Kovalev n'a pas exigé d'être échangé. Ça ne change rien à la froide réalité : comment un athlète aussi fier et orgueilleux que Kovalev pourrait-il revenir dans le giron de l'équipe après la claque au visage que le directeur général du CH vient de lui administrer?

Le Canadien est en chute libre. L'équipe, déjà privée d'attaquants comme Robert Lang et Alex Tanguay, s'apprête à livrer deux matchs cruciaux à Washington et Pittsburgh. Que fait Gainey? Il dit à son joueur le plus talentueux, celui qui est censé transporter l'équipe, que ses services ne seront pas requis. Il lui dit d'aller s'asseoir sur son steak, de s'en déboucher une froide et de regarder tout ça à RDS.

«L'équipe n'a pas besoin d'Alex Kovalev de la façon dont il joue en ce moment», a dit Gainey.

Et vlan!

De deux choses l'une. Ou Kovalev souffre d'épuisement psychologique, comme peut le laisser croire la déclaration de Guy Carbonneau au sujet des athlètes qui ne sont pas à l'abri des dépressions que vivent parfois certains hommes d'affaires. (Si c'est le cas, Kovalev devrait éviter de regarder le CH jouer, au risque d'aggraver sa condition).

Ou alors Gainey en a finalement eu assez. Il a jugé que Kovalev représentait une influence tellement néfaste au sein de l'équipe qu'il a décidé de faire une croix sur le joueur le plus décevant du Canadien cette année.

Si vous jugez la seconde hypothèse plus crédible, vous n'êtes pas le seul.

Si Gainey croyait encore en Kovalev, aurait-il laissé la porte grande ouverte à une transaction impliquant le vétéran russe, comme il l'a fait hier? L'aurait-il offert à tous vents depuis deux semaines, comme le rapporte Richard Labbé? Bien sûr que non.

La chute de Kovalev est vertigineuse. Il y a un an à peine, à l'époque où le Canadien voguait vers le championnat de l'Association de l'Est, le 27 était la coqueluche du club. Tout lui réussissait et il se dirigeait vers une saison de 84 points, sa meilleure depuis ses belles années aux côtés de Robert Lang et Martin Straka, à Pittsburgh.

Pas plus tard que le mois dernier, l'Artiste était désigné capitaine et choisi joueur par excellence du match des Étoiles de la LNH, devant ses partisans, au Centre Bell. On pensait que c'était assez pour le relancer, au milieu d'une saison en demi-teintes, marquée entre autres par une séquence de 19 parties sans but.

On se trompait. Ces derniers temps, Kovalev était carrément invisible sur la patinoire. Pensez-y: il a décoché seulement deux lancers lors du récent voyage de quatre matchs du Canadien dans l'ouest du continent. Deux!

Tout porte à croire que Gainey s'est finalement convaincu qu'il était préférable de sortir Kovalev de l'alignement, au risque de lui enlever le peu de valeur qu'il lui reste aux yeux des autres DG de la ligue, que de le maintenir en uniforme. C'est un jugement sévère. Et un pari très risqué.

Gainey joue gros. Si le Canadien se plante à ses deux prochains matchs, que fera-t-il? Son équipe se sera enfoncée encore davantage et le problème posé par Kovalev restera entier. Les homologues de Gainey ne risquent guère d'être intéressés par un joueur que le Canadien traite comme s'il avait la lèpre. Et si, contre toutes attentes, Kovy devait réintégrer la formation, il ne sera vraisemblablement pas dans les meilleures dispositions. On n'humilie pas un tel personnage impunément.

Pour Gainey, la sortie de crise n'a rien d'évident. Si, comme je le soupçonne, la mise à l'écart de Kovalev devient permanente, il faudra le remplacer par un joueur de premier plan. Et donc faire de la place sous le plafond salarial. Pourrait-on aller jusqu'à soumettre Kovalev au ballottage? Ou encore le joindre à une flopée d'espoirs dans une transaction en vue d'obtenir un joueur d'impact, en convainquant l'équipe avec laquelle le CH transigera de l'héberger jusqu'à la fin de l'année?

Au moins, Gainey lance un message puissant à toute l'équipe : il n'y a pas d'intouchable chez le Canadien de Montréal, alors vous avez intérêt à vous magner le train et à faire ce que l'entraîneur vous dit de faire. «Ça veut dire que personne n'est à l'abri. Nous devons tous faire notre part et nous sommes tous imputables», a reconnu Carey Price.

N'empêche. En écoutant Gainey hier, je ne pouvais m'empêcher de penser à ces sapeurs qui éteignent à la dynamite les incendies dans les puits de pétrole. C'est diablement efficace. Mais le moindre faux mouvement et on risque de tout faire sauter. Et de sauter soi-même.