C'est l'histoire d'un cordonnier mal chaussé. Le ministère de la Justice devrait s'y connaître en matière de harcèlement psychologique. Il a conseillé Québec dans l'élaboration d'un projet de loi visant à sanctionner ce genre de comportement. Il a même créé son propre guide interne afin d'offrir un milieu de travail exempt de tels agissements. Pourtant, lorsqu'un problème du genre s'est manifesté à l'interne, les patrons l'ont ignoré. Pendant près de cinq ans. Un cas qui montre à quel point les employeurs comprennent mal leurs responsabilités.

«Le ministère n'a pas été à la hauteur de la situation, n'a pas su l'affronter et n'a eu de cesse que de défendre systématiquement, par esprit de corps, les cadres supérieurs accusés», note la Cour supérieure, confirmant une sentence arbitrale rendue l'an dernier. Les deux décisions, dont notre collègue Caroline Touzin faisait état cette semaine, sont éclairantes à plusieurs égards.

 

Le profil de plaignante ne correspond pas au cliché que l'on peut se faire d'une victime de harcèlement. Avocate chevronnée, R.L. a demandé à ses patrons d'intervenir auprès de son supérieur immédiat à plusieurs reprises. Elle a fait état, par écrit, des gestes et paroles qui lui empoisonnaient la vie au travail. Peine perdue. Après presque cinq ans d'inertie, les patrons l'ont transférée contre son gré dans un autre service. «L'employeur qui fait preuve de négligence sérieuse ou d'aveuglement volontaire, tout en prétendant ainsi se couvrir, commet une faute lourde», souligne l'arbitre Léonce-E. Roy.

Les deux décisions rappellent que la personnalité de la plaignante ne peut pas servir de justification au traitement infligé. Encore heureux. «Le test à passer pour l'évaluation du harcèlement psychologique devait être celui d'une conduite qui dépasse ce qu'une personne raisonnable estime être correct dans l'accomplissement du travail», indique la Cour. Un test que salariés et patrons auraient intérêt à garder en mémoire. Si vous étiez dans la même situation, auriez-vous l'impression de subir du harcèlement psychologique? La question a l'avantage d'être simple, et d'inciter les parties à examiner le conflit sous un angle différent.

Cette protection n'a toutefois pas pour but de saper le droit de gérance. «L'exercice par l'employeur ou par ses gestionnaires des activités de gestion ne constitue pas du harcèlement», rappelle l'arbitre. Une mutation ou un licenciement peuvent être justifiés. Et un conflit ne doit pas être automatiquement qualifié de harcèlement psychologique.

Cela fait déjà cinq ans que les dispositions sur le harcèlement ont été intégrées à la Loi sur les normes du travail. Plus de 200 décisions ont été rendues, sans compter les innombrables dossiers réglés en médiation. Le nombre de plaintes, hélas! ne fléchit pas. Pourtant, bien des cas pourraient se régler au sein même du milieu de travail, s'ils étaient pris à temps... et pris au sérieux.

 

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