Il y a quelques années, je me préparais pour mon premier séjour au Soudan. Mes nuits étaient remplies de cauchemars. Ce serait mon premier séjour dans un pays majoritairement musulman (au nord) où la charia est imposée par le gouvernement. Je ne savais à quoi m'attendre. Je ne pensais qu'au pire: un régime comme celui des talibans, devoir me couvrir de la tête aux pieds et ne pas pouvoir être libre de mes allers et venues.

Voilà maintenant plus d'un an que je vis à Khartoum, capitale du Soudan. Mes amis québécois me posent souvent cette question: dois-tu porter le voile? Non, absolument pas. Bien que je vive sous la charia, un «outil» surtout politique plutôt que religieux au Soudan, pas une fois ne m'a-t-on imposé de porter le voile. M'a-t-on dévisagée parce que je n'étais évidemment pas musulmane, ou m'a-t-on tenu des propos discriminatoires? Jamais. Certes, le Soudan est un pays coupé de l'extérieur, éprouvé par une guerre désastreuse au Darfour et qui se relève à peine d'une guerre civile entre le Nord et le Sud qui a duré 20 ans. Mais j'y rencontre quotidiennement un peuple incroyablement tolérant et accueillant.

 

Amal Baher est une jeune Soudanaise de 27 ans. Elle est responsable des finances d'un organisme international réputé ayant son siège à Khartoum. Elle prend sa tâche au sérieux et s'assure d'une main de fer que toutes les dépenses de l'organisme soient comptabilisées sans erreur, sans fraude. Ses collègues, surtout des hommes, la font rire lorsqu'ils racontent qu'ils craignent sa grande autorité. Pour moi, Amal est devenue une soeur avec qui je partage mes espoirs et inquiétudes.

Pourtant, Amal porte le voile. Mais cela ne me gêne pas.

À Khartoum, ce ne sont pas toutes les femmes qui portent le voile. Certaines le portent bien serré encadrant leur visage, ne dévoilant pas un cheveu. D'autres semblent l'avoir enroulé un peu par mégarde, à la dépêche en sortant de la maison. Super pour cacher quelques cheveux rebelles, m'a-t-on dit un jour, en me faisant un clin d'oeil. Jamais n'ai-je vu une femme soudanaise se cacher le visage. Parmi une vingtaine d'étudiants que j'ai formés en journalisme à l'Université de Khartoum, la grande majorité étaient de jeunes femmes qui portaient le voile.

À des milliers de kilomètres du Québec, je suis surprise de lire les propos tenus par Pauline Marois récemment à l'Assemblée nationale ou par Denise Bombardier dans Le Devoir. Moi qui me sens le plus souvent privilégiée d'être Québécoise, d'avoir eu la chance de vivre dans un pays pacifique et interethnique, je suis estomaquée de voir qu'on puisse tenir encore aujourd'hui un tel discours. Le foulard, un signe de domination? Des femmes qui viennent au Québec «pour fuir les affres de systèmes moyenâgeux»? Je ne nie pas qu'il existe des extrémistes musulmans, qui sans doute désirent voir la femme dominée dans un monde patriarcal. Et c'est bien sûr le cas aussi chez certains chrétiens.

Au Soudan, je travaille avec des femmes fortes, qui se font entendre, qui occupent des postes importants dans la société et surtout qui se font respecter. Le voile, qui est devenu un symbole si fort pour nous, est le moindre des obstacles auxquels elles font face. Comme toutes les autres femmes du monde, ce sont elles qui portent les pires fardeaux associés à la pauvreté et à la guerre. Ces voiles de toutes les couleurs, si étincelants, font partie de leur identité. Pour cela, je n'oserais jamais leur imposer mes préjudices de privilégiée occidentale.

Je ne voudrais pas à avoir à hésiter à inviter au Québec mon amie Amal; elle serait peut-être questionnée quant à son «soi-disant» choix. Mais je sais avec certitude que je serais fière d'inviter quiconque à Khartoum pour leur présenter les femmes exceptionnelles que je côtoie et qui choisissent de porter le voile, ou non.

Québécoise, l'auteure travaille présentement au Soudan.