L'auteur est professeur à l'École de relations industrielles à l'Université de Montréal, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la mondialisation et le travail, et directeur du Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail.

Les faits sont troublants. Un groupe d'employés d'un dépanneur de l'entreprise Couche-Tard à Montréal choisit d'exercer un droit des plus simples, celui de se syndiquer. Ce droit d'association est un droit fondamental affirmé par les tribunaux, inscrit dans le Code du travail, exprimé dans les plus grands traités internationaux relatif aux libertés fondamentales, tant les chartes des Nations unies que les instruments de l'Organisation internationale du travail auxquels le Québec et le Canada sont signataires. La liberté d'association est en outre garantie par les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés.

Quand l'employeur choisit à répétition de fermer un tel dépanneur - la première fois en avril dernier et la seconde fois il y a quelques jours - plutôt que de respecter l'exercice de ce droit fondamental, sous quelque prétexte que ça soit, ce droit est bafoué. Il est voulu que le message à tous les salariés de cette entreprise soit désormais non équivoque: exercer votre droit d'association au risque de votre emploi!

On reproche pourtant aux régimes autoritaires le non-respect d'un tel droit. Le passage d'une dictature à un État démocratique commence le plus souvent par l'affirmation et l'application des droits d'association. On s'insurgerait avec raison contre un État qui reconnaitraît le droit de vote mais qui annulerait les élections dès que l'exercice du droit de vote lui déplairaît. En quoi l'exercice du droit d'association par quelques salariés sur l'avenue Jean-Talon à Montréal est-il différent?

Nous voici devant une question fondamentale: en quoi notre régime des relations du travail permet l'exercice réel de «la liberté d'association et la reconnaissance effective du droit de négociation collective», telle qu'affirmé dans la Déclaration de l'Organisation internationale du travail de 1998? Ce droit n'est-il pas inscrit au même titre que l'élimination du travail forcé, l'abolition du travail des enfants et l'élimination de la discrimination en matière d'emploi et de profession? À quoi sert le droit d'association par la syndicalisation si on ne peut pas l'exercer de manière effective?

Il ne s'agit pas ici d'un concours sportif entre une centrale syndicale et un employeur où on peut prendre pour l'une ou l'autre des parties en jeu, selon ses préférences. La question essentielle est celle du respect des droits fondamentaux de ces salariés.

Le ministère du Travail, ses instances et la ministre elle-même ne peuvent y demeurer indifférents. Si les employés d'un dépanneur ne peuvent exercer un droit fondamental, c'est une question qui doit préoccuper l'Assemblée nationale dans son ensemble.

Pour les corporations professionnelles vouées à la défense du public en cette matière, cette question touche le respect des règles juridiques qui sous-tendent l'exercice même de leur profession, qu'il s'agit de l'Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agrégés ou du Barreau du Québec.

Pour les fonds d'investissement qui gèrent nos régimes de retraite et d'autres économies, telle la Caisse de dépôt et placement du Québec, et qui sont des actionnaires importants de Couche-Tard, leurs politiques d'investissement responsable doivent forcément tenir compte de la non-reconnaissance des obligations internationales.

Pour les employeurs, comment justifier le respect de ce droit fondamental par la plupart face à d'autres qui le nient sous prétexte que leur modèle d'affaire ne peut le supporter? Un silence patronal devant un tel cas nuit à la capacité de l'ensemble des employeurs du Québec à marier efficience économique et équité sociale. Les associations qui défendent les intérêts patronaux ont alors intérêt à proclamer leur adhésion aux droits fondamentaux auxquels ils sont eux-mêmes signataires.

C'est un débat fondamental qui ne doit pas disparaître dans les recours juridiques à ne pas finir. La non-reconnaissance effective du droit d'association étouffe toute possibilité de citoyenneté au travail pour les employés en cause, contribuant ainsi au rétrécissement de la vie démocratique de tous.