Treize athlètes canadiens ont subi des contrôles positifs au cannabis l'année dernière. La drogue est de loin la plus dépistée chez les sportifs au pays. Mais les agences antidopage sont divisées sur la question: la chasse au cannabis a-t-elle sa place dans le sport?

La journée de Zach White a commencé avec un gros joint. Nous sommes le samedi 19 septembre 2009 au matin. Ce jour-là, le jeune quart-arrière bourré de talent ne doit pas jouer. Son coach l'a assuré que les Sooners d'Ottawa, une équipe de la Ligue junior canadienne de football, n'ont pas besoin de lui. Il passera le match sur le banc.

White se dit que c'est la fin de semaine après tout et, comme le font des milliers d'autres adolescents au pays, consomme du cannabis. Il se rend comme prévu au match quelques heures plus tard, surprise: l'entraîneur lui ordonne de sauter sur le terrain.

Les ennuis de White commencent.

Le quart-arrière est-il encore sous l'effet de la drogue? Toujours est-il que quelques minutes plus tard, il se fait «démolir» par un joueur adverse. Puis après le match, White est pris à part par un officiel pour un contrôle antidopage.

Les résultats sont accablants: on détecte dans son urine la présence de cannabis à hauteur de 700 ng/ml, bien au-delà de la limite permise de 15 ng/ml.

Zach White tentera plus tard de clamer son innocence devant le tribunal du sport. Le cannabis est interdit en compétition au Canada comme ailleurs depuis 2004, mais il n'a pas consommé la substance pour se doper. Il ne pensait pas disputer le match, jure-t-il, et voulait simplement rigoler avec des copains.

Le jeune joueur de football a réussi à éviter la peine suggérée de deux ans. Il a été suspendu pour sept mois. Un communiqué de l'agence canadienne antidopage a été envoyé à tous les médias en mai 2010 avec son nom écrit en gras. Il venait de perdre la face, en plus de perdre son sport.

Le cas de Zach White n'est pas anecdotique. Année après année, le cannabis est la drogue la plus détectée chez les athlètes canadiens. Le Centre canadien pour l'éthique dans le sport (CCES), l'agence chargée de lutter contre le dopage sportif au pays, a dévoilé son rapport annuel juste avant les Fêtes: en 2011, sur 30 cas positifs, 13 étaient liés au cannabis.

Au bout du fil, le président du CCES ne s'en cache pas. La lutte au cannabis est «un fardeau administratif» pour son organisation. «Certains pourraient faire valoir que toutes ces énergies seraient mieux investies à lutter contre d'autres substances bannies, comme les stéroïdes anabolisants et l'EPO», lance Paul Melia.

Le CCES fait partie d'une poignée d'agences nationales qui aimeraient que le cannabis soit retiré de la liste des substances bannies de l'Agence mondiale antidopage. Mais la question n'est pas simple. L'interdiction du cannabis dans les sports suscite la controverse depuis la création de la liste en 2004.

Plusieurs agences nationales - notamment en Scandinavie, au Canada, en Nouvelle-Zélande et aux Pays-Bas - se demandent si le cannabis est vraiment une substance dopante. Les agences antidopage sont-elles vraiment au service du sport en menant cette chasse au cannabis, ou servent-elles d'instrument aux États dans leur lutte contre la drogue?

Une drogue de performance selon l'AMA

La réponse à cette question se trouve au 17e étage de la tour de la Bourse, l'austère gratte-ciel au centre-ville de Montréal d'où l'Agence mondiale antidopage (AMA) supervise la lutte à la triche dans le sport.

Le directeur scientifique de l'Agence, assis dans un vaste bureau avec vue plongeante sur la ville, veut d'abord mettre une chose au clair: il faut en finir avec certaines idées reçues sur le cannabis. «Les gens pensent que ceux qui consomment du cannabis sont complètement désorientés, que leur perception est altérée, qu'ils sont sur le bord du trottoir en train de rigoler, énumère Olivier Rabin. On ne croit pas que ça puisse améliorer la performance dans le sport. Ça, c'est une perception.»

Or, selon lui et l'AMA, le cannabis peut bel et bien améliorer les performances. Bien sûr, ce n'est pas vrai dans tous les sports. Fumer un joint avant une compétition de javelot n'est peut-être pas une excellente idée, illustre-t-il. Par contre, le cannabis peut servir à diminuer la perception de risque. Il pourrait donc améliorer les performances dans «des disciplines comme le ski et le surf des neiges», où le stress est élevé. La drogue pourrait aussi aider à la concentration. «C'est reconnu, au soccer, comme la drogue des gardiens», dit-il.

Olivier Rabin admet que la question est controversée. Les études ne s'entendent pas sur la capacité du cannabis à augmenter les performances. Certains font valoir que les athlètes tirent beaucoup plus d'avantages de la caféine, une substance permise.

Le cas Michael Phelps

Pour ajouter une substance sur la liste de l'AMA, elle doit répondre à au moins deux de trois critères: elle doit nuire à la santé, sa consommation doit contrevenir à l'esprit du sport et elle doit améliorer les performances. Selon Olivier Rabin, le cannabis répond aux trois.

L'esprit du sport est un concept vague. Olivier Rabin cite en exemple le cas du nageur Michael Phelps, photographié en train de fumer de la marijuana en 2009. L'incident est survenu hors compétition, mais l'athlète a été conspué par les médias et a perdu des commanditaires.

«Le cannabis est une substance illégale interdite. Les athlètes sont conscients qu'ils sont des modèles de société, que des attitudes jugées déviantes ou illégales n'ont pas cours dans le sport», dit-il.

Mais pour d'autres, le critère de la performance devrait être prédominant, peut-être même le seul, quand vient le temps de conclure qu'un athlète triche. Ils estiment qu'il est loin d'être clair que le cannabis soit une drogue de performance.

Paul Melia, président du Centre canadien pour l'éthique dans le sport, est de ceux-là. «Nous ne recommandons pas l'usage du cannabis d'aucune façon, dit-il. Mais nous sommes en faveur du retrait de la marijuana de la liste des produits dopants, parce que dans notre opinion, on n'a pas prouvé scientifiquement que le cannabis pouvait être une drogue de performance.»

Il note que la consommation de cannabis est à son faîte à la fin de l'adolescence et au début de l'âge adulte, soit dans la période où l'on pratique les sports d'élite. Il est donc normal qu'année après année, de jeunes Canadiens se fassent pincer pour une consommation sociale du cannabis.

Des traces de la drogue restent d'ailleurs de plus en plus longtemps dans le système. De nouvelles variétés de cannabis sont aujourd'hui détectables jusqu'à six, sept jours après consommation. La fête du vendredi soir peut donc avoir de graves conséquences pour les athlètes.

«Nous ne voulons pas que notre travail antidopage serve à policer la moralité des individus, leur conduite ou même la légalité de celle-ci dans la société, résume Paul Melia. Nous voulons attraper les athlètes qui trichent.»

Mais en accord ou pas, le CCES doit faire respecter les règles de l'AMA. D'autres athlètes canadiens viendront donc grossir les statistiques en 2012. D'autres Zach White seront tenus de jouer un mauvais rôle. Celui du tricheur pour certains, celui de la victime pour d'autres; un rôle flou comme un écran de fumée.

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LE DOPAGE SPORTIF AU CANADA


Le cannabis est année après année la drogue la plus dépistée chez les athlètes canadiens*.

Année - Cas positifs  - Cannabis

2011 - 30 - 13 (43%)

2010 - 24 - 17 (71%)

2009 - 16 - 10 (63%)

2008 - 20 -  8 (40%)

2007 - 21 - 12 (57%)

*Selon les chiffres du Centre canadien pour l'éthique dans le sport