La table est mise pour la vente aux enchères du Canadien de Montréal, dont le propriétaire George Gillett espère qu'elle lui rapportera plus d'un demi-milliard de dollars. Au moment de mettre sous presse, au moins trois groupes ont en effet déposé, mercredi, des offres d'achat pour le Tricolore, le Centre Bell et le Groupe spectacles Gillett. Deux d'origine québécoise : la famille Molson et un consortium comprenant Quebecor Media, le Fonds de solidarité de la FTQ et les Productions Feeling, de René Angélil. Et un est américain, et lié au président du Canadien, Pierre Boivin.

Les deux prétendants québécois sont admissibles à un prêt pouvant atteindre 100 millions de la part d'Investissement Québec ou de la Société générale de financement, indique-t-on à Québec, ce qui n'est pas le cas pour le groupe américain, qui a aussi présenté une offre formelle au mandataire de la famille Gillett, BMO Groupe Financier.

Ceux qui suivent le dossier au gouvernement du Québec prédisent que la vente ne se conclura pas avec cette première ronde de propositions, dont la valeur oscillera entre 400 et 500 millions. Le Groupe Gillett attend plus de 500 millions de cette transaction et espère que deux ou trois acheteurs alléchés feront monter les enchères.

Gillett vise tout de même une conclusion rapide, précisent plusieurs sources, car l'acheteur retenu devra être approuvé lors de la prochaine réunion des gouverneurs de la Ligue nationale, qui aura lieu dans deux semaines à Montréal. L'acquéreur devra plonger la main profondément dans ses goussets et ne pourra se contenter d'emprunter les fonds nécessaires, la ligue exigeant que l'acheteur injecte 50% en équité.

Selon une source au fait du dossier, il faut s'attendre à des réalignements d'alliances au cours de la prochaine phase de l'encan. Le vice-président aux communications du Fonds de solidarité, Me Mario Tremblay, a d'ailleurs souligné à La Presse que la proposition d'appui à Quebecor «n'était pas exclusive». «Le Fonds a eu des discussions avec d'autres groupes et pourrait s'y joindre éventuellement, a-t-il dit. Il n'y a pas d'entente d'exclusivité avec Quebecor.»

En fait, tout indique que le Fonds appuie aussi la proposition des frères Geoff, Andrew et Justin Molson, qui n'ont toutefois pas dévoilé l'identité de leurs partenaires en raison de l'entente de confidentialité liant les parties impliquées. Des rumeurs persistantes font état de la participation de BCE, rival direct de Quebecor. «Nous avons réuni un groupe très solide et crédible d'investisseurs et d'institutions financières pour élaborer notre offre, a déclaré Geoff Molson dans un communiqué. Ils sont tous dédiés au succès à long terme du Canadien et ont une solide présence au Québec. Nous croyons que notre offre a tous les éléments voulus pour être bien accueillie par le vendeur potentiel et la Ligue nationale de hockey.»

De son côté, le président et chef de la direction de Quebecor, Pierre Karl Péladeau, juge «fondamental qu'un groupe de Québécois puissent saisir l'occasion de rapatrier entre les mains de gens d'affaires d'ici ce joyau de notre collectivité». Il a aussi vanté «la qualité, la solidité et le sens de l'entrepreneuriat des dirigeants et organisations» réunis autour de la proposition de Quebecor Media.

Cette proposition a obtenu l'aval de la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui détient 45 % des parts dans l'entreprise.

Une aide de Québec

Le ministre des Finances, Raymond Bachand, avait indiqué en avril qu'un «prêt temporaire modeste» pourrait être mis à la disposition d'investisseurs québécois intéressés à acheter le Canadien.

En fait, on indique à Québec que le gouvernement Charest est prêt à «appuyer par un prêt de 100 millions tout acheteur éventuel, à la condition qu'il soit à majorité québécois». L'intervention d'Investissement Québec semble plus probable que celle de la SGF mais, quel que soit le véhicule, le chiffre de 100 millions reste ferme... bien que l'attachée de presse de M. Bachand, Anne-Sophie Desmeules, ait déclaré mercredi soir qu'il pourrait augmenter si les enchères montent.

En 2001, George Gillett avait eu droit à un prêt de 140 millions de la Caisse de dépôt pour acheter le Canadien, prêt qu'il a depuis remboursé.

Jointe au téléphone, la vice-présidente aux affaires publiques de Quebecor Media, Isabelle Dessureault, a refusé de commenter la possibilité d'un appui gouvernemental à l'offre de Quebecor, pas plus qu'elle n'a pas voulu dire si le consortium incluait d'autres partenaires que le Fonds de solidarité et la société de M. Angélil.

Des sources fiables indiquent que les Molson, qui ont manifesté publiquement leur intérêt pour le Canadien la première fois il y a deux semaines, sont en bonne position. Habitués du Centre Bell, les membres de la famille entretiennent des contacts étroits avec les Gillett. Geoff Molson siège au conseil d'administration du Canadien à titre de représentant de Molson Coors. Le brasseur, dont la famille est l'un des principaux actionnaires, détient 19,9% des parts du Canadien.

Il n'est toutefois pas impossible que la liste des acquéreurs intéressés soit plus longue qu'on le pense. La famille Bronfman a aussi exprimé de l'intérêt, indique-t-on. Le fils de l'ancien propriétaire des Expos, Charles Bronfman, Stephen Bronfman, lui-même investisseur minoritaire dans le club de baseball pendant le règne de Jeffrey Loria, n'a pas rappelé La Presse.

La pression financière sur George Gillett pourrait par ailleurs s'être relâchée d'un cran. Selon le Guardian de Londres, Gillett et Tom Hicks pourraient bientôt conclure avec la Royal Bank of Scotland le refinancement de l'emprunt de 350 millions de livres (633 millions) contracté pour l'acquisition du Liverpool FC. Le prêt vient à échéance le 24 juillet. Ce renouvellement n'assurera toutefois pas le financement de la construction du nouveau stade promis par les propriétaires lors de leur prise de contrôle du club, il y a deux ans.