Alex Harvey a été aussi bon devant les médias qu'incisif sur la piste. À fin de la conférence de presse, un membre de l'équipe américaine, manifestement d'origine européenne, a pris la peine de le féliciter pour la qualité de ses propos. «Tu as fait plus pour le sport aujourd'hui qu'on l'a fait pendant des années», a-t-il dit au nouveau champion du monde, hier après-midi, à Oslo.

Harvey dégageait une assurance peu commune pour un athlète de 22 ans. L'animateur de la conférence, un peu maladroit, a même senti le besoin de lui poser cette question: «Respectez-vous vos rivaux norvégiens, Petter Northug et Ola Vigen Hattestad?»

«Je respecte mes adversaires, mais je n'ai peur de personne, a répondu Harvey sans crâner. Dans ma vie, il n'y a personne que je n'ai pas battu dans une course. Je dois donc juste m'assurer que je les bats tous en même temps... Aujourd'hui, c'était la première fois, et j'espère qu'il y en aura d'autres. Mais je respecte les Norvégiens. Ce sont des skieurs fantastiques. Ils ont accompli beaucoup plus de choses que moi. D'aucune façon je ne peux me comparer à eux.»

La victoire des Canadiens a été finement planifiée. Tout a fonctionné... sauf quand Devon Kershaw a perdu un ski dans les premiers mètres de la demi-finale. «Oh! mon dieu, je pensais que j'avais tout bousillé...» Après un instant de panique, l'Ontarien a pu récupérer son ski et éventuellement recoller au peloton.

En finale, Harvey a imposé un tempo suffisamment élevé pour saper les énergies de ses rivaux, spécialistes de la dernière ligne droite. Le Suédois Emil Jönsson, entre autres, l'a payé comptant. Au dernier échange, Kershaw s'est assuré de laisser passer Northug au deuxième rang. Ainsi, Harvey pouvait profiter du travail d'Hattestad, qui a jeté beaucoup d'énergie pour recoller au Finlandais Ville Nousiainen, qui filait seul en tête.

À l'avant-dernier virage, tout le monde a retenu son souffle quand Hattestad s'est rabattu sur Harvey. Puis, Nousiainen a tenté de lui faire l'intérieur. Le Québécois n'a jamais paniqué. Il avait répété le scénario des dizaines de fois la semaine précédente à l'entraînement. Il voulait être deuxième dans le dernier virage. De cette façon, il profiterait de l'aspiration et de l'effet catapulte de la dernière petite descente.

Quand il a fondu sur Hattestad, l'essentiel du travail était accompli. «Je savais que j'avais vraiment de la vitesse. Je l'ai senti commencer à faiblir...»

La victoire était d'autant plus savoureuse qu'elle survenait en classique, l'essence du ski de fond et la spécialité des Norvégiens.

Avait-il rêvé de ce moment? «Tu dois rêver, a répondu Harvey. Tu dois avoir de grands rêves si tu veux réussir de bonnes choses dans la vie. Bien sûr, je savais qu'on pouvait gagner. Oui, je suis surpris, mais ce n'est pas comme si je suis en état de choc. Je savais que ça pouvait arriver.»

La victoire d'Alex Harvey est aussi celle de son entraîneur, Louis Bouchard. Celui-ci était posté dans les bois pendant la course. Il a vu le dernier sprint de son protégé sur le téléviseur d'un spectateur.

Quand il a répondu au cellulaire, quelques minutes plus tard, il avait la voix éraillée de quelqu'un qui avait trop crié: «Incroyable!» Bouchard se félicitait de la décision, délicate, de ne pas avoir inscrit Harvey et Kershaw au 15 kilomètres de la veille. «On a tu bien fait...»

Quand on l'a rappelé, il était passé 22 h. Avec le reste du staff, le coach fêtait la médaille d'or quelque part dans un bar du centre-ville. Il a pu parler une minute avant que la pile de son téléphone ne se décharge complètement

«C'est extraordinaire, ça n'a pas de bon sens», a dit Bouchard, qui travaille avec Harvey depuis 2003. «Surtout ici, en Norvège. Il n'y a pas de meilleur timing. Sais-tu c'est quoi le prochain timing? Quand il va gagner une Coupe du monde au Québec. Il est temps qu'il y ait une Coupe du monde au Québec au lieu qu'Alex et moi, on vive ça ici.»