Le vigneron Yves Freulon a tout perdu: ses cuvées de vins bios et son domaine familial. C'est que son voisin a contaminé son vignoble en 2003 avec des pesticides. Mais Freulon est convaincu que la cause qu'il a remportée au tribunal d'Angers servira de jurisprudence aux producteurs de vins et aux apiculteurs.

Yves Freulon a travaillé ses vignes en agriculture biologique dans la Loire, toute sa vie. Âgé de 65 ans, il se souvient qu'il cultivait le raisin avec son père dès son plus jeune âge. Mais aujourd'hui, les plants de chenin blanc, de gamay et de cabernet franc ne lui appartiennent plus. Le vigneron a tout vendu. La moitié de ses vignes a été contaminée à la suite de l'épandage d'une hormone débroussaillante chez son voisin.

En 2003, une grande chaleur s'est abattue en Loire, se souvient Yves Freulon. Les vents soufflaient à plus de 30 km/heure. Et son voisin, un éleveur bovin situé à plus de 10 km de chez lui, a pulvérisé un pesticide dans son champ de foin. Trois jours plus tard, le vigneron a découvert que 8 de ses 16 hectares de vignes avaient été touchés par le produit chimique.

«Les feuilles étaient devenues toutes dentelées, toutes ciselées, recroquevillées et il y avait des petites perforations, raconte-t-il. Elles étaient de couleur jaune, jaune citron, ce qui n'est pas la couleur normale. Le bout des pousses de la vigne poussait comme de la fougère, toute retournée sur elle-même.»

Yves Freulon a rapidement appelé des experts pour constater les dégâts. Mais il s'est heurté à sa compagnie d'assurances... la même que son voisin. Résultat: après avoir refusé une entente à l'amiable qu'il jugeait «ridicule», le vigneron a amené l'affaire devant le tribunal des grandes instances d'Angers.
 Son voisin, Patrice Aligon, a été reconnu coupable «d'utilisation de produit antiparasitaire à usage agricole sans respecter les mentions de l'étiquetage.»  Car selon les instructions du désherbant Ariane il ne faut «pas pulvériser trop près des cultures sensibles: composées, légumineuses, vigne» et aussi «traiter seulement par temps calme, sans vent et à une température ne dépassant pas 25 degrés à l'ombre», peut-on lire dans le jugement correctionnel du 10 juin 2005 que nous avons obtenu.
 Or, Patrice Aligon savait que les parcelles de vigne de son voisin étaient sensibles et qu'elles avaient obtenu le label «biologique». Les certificats de Météo France ont aussi révélé que la température dépassait les 25 degrés lors de l'épandage du produit chimique et que le vent soufflait entre 22 et 40 km/heure par moment.

À la suite de ce jugement, Yves Freulon a été dédommagé. Il a obtenu une somme de 188 000 euros (plus de 245 000 dollars). Mais son voisin et son assurance n'en sont pas restés là. Ils ont fait appel du jugement à deux reprises. La première fois, le montant a été diminué de plusieurs milliers d'euros et il y a une semaine, le vigneron a appris qu'il doit maintenant rembourser 43 000 euros qui lui ont été versés en trop.

Vins bios : une notoriété fragile

L'entreprise familiale de Yves Freulon n'a pas survécu à cette affaire. Elle a d'abord perdu sa certification biologique.  Puis, le fils aîné qui devait reprendre le vignoble n'en voulait plus. La famille a donc vendu le domaine de Dreuillé en 2008.

«Ce n'était plus tenable, dit-il. On avait perdu aussi notre notoriété auprès de nos clients que l'on avait servi pendant 40 ans. On avait été sali. Dans le monde du bio, quand tu as eu une pollution, c'est difficile à reconquérir. On n'y arrivait pas.»

Malgré tout, le retraité ne perd pas espoir. Il est satisfait qu'il y ait eu condamnation dans cette affaire. Car le jugement rendu contre son voisin pourra servir aux autres vignerons et aux agriculteurs, en particulier aux apiculteurs souvent victimes de l'épandage des produits chimiques.

«Auparavant, un utilisateur de produits phytosanitaires qui causait des désordres était simplement un fauteur de troubles, dit-il. À partir du moment où une personne est condamnée, c'est un délit. D'autres personnes peuvent se référer à ce premier jugement, puisque cette condamnation n'existait pas auparavant.»

Aujourd'hui, Yves Freulon fait comme tout le monde. Il achète son vin au petit magasin bio du coin, qui était autrefois son client.

L'éleveur bovin Patrice Aligon n'a pas retourné nos appels.