Il n'y a pas si longtemps, il était impensable de commander un vin grec dans un restaurant non grec, et encore moins dans un restaurant gastronomique. Mais depuis quelques années, les tables les plus en vue de Montréal - Toqué!, Bouillon Bilk, Pastaga, Salle à manger, Pullman, Joe Beef, Nora Grey, etc. - ont ouvert leurs cartes des vins aux Hatzidakis, Thymiopoulos, Economou, Sclavos et autres vignerons grecs.

Cette petite «révolution» montréalaise du vin grec, on la doit à Theo Diamantis, cofondateur de l'agence Oenopole. Avec un marché intérieur anéanti par la crise, les producteurs grecs courtisent désespérément les marchés étrangers et vénèrent l'importateur montréalais comme un dieu (grec!). Nous l'avons suivi à l'occasion de sa visite annuelle au pays de ses ancêtres.

Vassilis Papagiannakos vient nous cueillir à la sortie du métro d'Athènes. On roule à peine 20 minutes que déjà, les figuiers, les oliviers et les pistachiers entrent dans le paysage. Les vieilles vignes de savatiano ressemblent à des petits personnages de Munch.

Le domaine de 10 hectares à Markopoulo, dans la plaine du Mesogaia, appartient à la famille Papagiannakos depuis des générations. Avec une fille qui étudie en gestion et oenologie, puis un fils de 13 ans passionné d'agriculture, tout porte à croire qu'il y aura une relève. Le grand-père Papagiannakos fut le premier à faire du vin avec les raisins qui étaient simplement cultivés puis vendus par ses aïeux. Jusqu'à la fin des années 80, le père de Vassilis produisait surtout de la retsina, LE vin traditionnel des tavernes d'Athènes et des alentours.

Lorsqu'il a repris les rênes en 1994 avec sa conjointe Tonia, l'héritier a modernisé le chai et fait quelques changements dans le vignoble. «Mes prédécesseurs vendangeaient tard parce que les tavernes voulaient un vin plus mûr, au degré d'alcool élevé. J'ai commencé à vendanger plus tôt et à produire des vins plus frais et moins alcoolisés.» Quant à la retsina, il en a considérablement réduit le montant de résine ajouté, pour obtenir un vin plus léger, en accord avec une cuisine grecque également allégée.

Le Domaine Papagiannakos est en conversion biologique. Le bâtiment principal du vignoble est ultramoderne, bioclimatique, avec une grande salle de réception et une terrasse superbe, longée par un couloir de natation. Malheureusement, les réservations sont moins nombreuses depuis le début de la crise. Autre effet de celle-ci: si la consommation de vin se maintient en quantité, celle des vins de qualité aurait considérablement diminué.

En Grèce, on vit le contraire de la crise du vin français, où ceux qui produisaient du vin en vrac ou de mauvaise qualité souffrent, tandis que les vins de qualité s'en sortent bien. Ici, les gens achètent beaucoup de vin en vrac. Ceux qui embouteillent doivent exporter. Heureusement, la famille Papagiannakos est déjà bien représentée à l'étranger.

Vassilis et sa famille se sont donné une mission: redonner ses lettres de noblesse au savatiano, le raisin utilisé dans la retsina. Des 300 cépages indigènes de la Grèce, c'est le plus planté. Certaines personnes le comparent au trebbiano d'Italie. «On dit qu'il ne produit pas de vins nobles, mais je crois qu'il est aussi bon que l'assyrtiko de Santorin. Il a fallu l'exporter et gagner des prix à l'étranger pour que les Grecs s'y intéressent!» lance Vassilis. Vinifié sans résine, le savatiano a un côté miellé et de jolies notes de fruits blancs (poire).

Les montagnes du Péloponnèse

Le lendemain de notre visite du domaine Papagiannakos, nous traversons le canal corinthien et gravissons les impressionnantes montagnes du Péloponnèse pour rendre visite à Yiannis Tselepos, dans son vignoble aux contreforts du mont Parnon, en Arcadie.

Le Péloponnèse est la région grecque qui a le plus grand nombre de terroirs différents. Les montagnes agissent comme un système réfrigérant pour les vignes. Beaucoup sont plantées à 500, voire 800 m d'altitude. Cela donne beaucoup de marge de manoeuvre aux vignerons, qui peuvent par exemple produire plusieurs styles d'agiorgitiko, en jouant avec les différences de température. L'agiorgitiko est le cépage de l'appelation Nemea. C'est un raisin polydynamique, ce qui signifie qu'on peut en tirer à la fois du vin rouge, du vin doux et du rosé. Yiannis Tselepos cultive l'agiorgitiko dans son autre domaine, nommé Driopi, à une heure d'où nous nous trouvons.

Dans son domaine d'Arcadie, à 14 km de Tripoli, il cultive le cépage moschofilero pour en faire un délicieux vin mousseux (Amalia Brut) et deux blancs. Mais il a également planté plusieurs hectares de merlot, de cabernet sauvignon, de chardonnay, et même de gewurztraminer. «Les cépages internationaux ont été essentiels pour nous aider à pénétrer le marché, affirme Yiannis Tselepos. Il y a 15 ou 20 ans, personne ne voulait des cépages grecs. Aujourd'hui, il y a beaucoup plus de curiosité et d'ouverture.» «Dans les années 80, ajoute Theo, toute une génération de Grecs ont fait leurs études d'oenologie en France, en Italie et même aux États-Unis et en Australie. Bordeaux a longtemps été considéré par les Grecs comme la Mecque du vin. C'est pourquoi ils ont planté autant de cépages bordelais comme le merlot et le cabernet sauvignon. Par ailleurs, ce sont ces vignerons qui ont permis la modernisation du vignoble grec et qui ont amorcé la transition vers des vins de plus grande qualité.»

Yiannis Tselepos a pour sa part fait ses études à Dijon, en Bourgogne. Il a donc une affection pour le pinot noir. Mais les tests effectués avec ce cépage ont échoué dans son coin de pays. «Le raisin n'arrive pas à maturité. Il y a trop d'humidité. Ça fait de la pourriture.»

Le propriétaire de 50 hectares de vignes dans le Péloponnèse exporte 50% de sa production (au total, environ 350 000 bouteilles par année), mais aimerait augmenter cette proportion à 70%.

Sofia Perpera et George Athanas sont d'importants ambassadeurs du vin grec. La campagne New Wines of Greece mise sur pied par leur bureau de promotion, All About Greek Wine (mandaté par le gouvernement), a beaucoup aidé à faire connaître le vin grec à l'étranger.

«Nous avons fait beaucoup de chemin au cours des huit dernières années, aux États-Unis surtout, affirme M. Athanas. Nous avons également remarqué que le Québec s'intéressait vivement à nos vins. Les Québécois sont particulièrement curieux de nos cépages indigènes et prêts à payer plus cher pour du vin de qualité.»

De retour à Athènes

Moins de 24 heures plus tard, nous recroisons tout ce beau monde à Oenorama, grande foire du vin grec qui s'étend sur deux étages d'un centre d'expositions. Les autres vignerons représentés par Theo ont également fait le voyage à Athènes. Cette année, l'importateur ne cherche pas à repérer de nouveaux producteurs à ajouter à son portefeuille, déjà bien garni. À Oenorama, il ne peut pourtant faire deux pas sans qu'on l'arrête pour le saluer, lui faire une accolade, l'inviter à venir déguster.

Un groupe de sommeliers montréalais qui sillonne le pays depuis une semaine «atterrit» également dans la capitale. Ils ont été invités par le bureau de promotion All About Greek Wines à découvrir la richesse et la diversité du vignoble grec. Véronique Dalle, Cassady Sniatowsky, James Graham-Simpkins et Ryan Gray ont goûté à des centaines de vins grecs depuis leur arrivée. Ils poursuivent leur marathon de dégustation à Oenorama, où il reste encore beaucoup de belles découvertes à faire.