Le monde du travail est de plus en plus exigeant. Et les familles en paient le prix, révèlent six nouvelles études universitaires. Leur constat commun: le bien-être des travailleurs est en jeu, mais aussi la réussite de leurs enfants. Et pas toujours dans les circonstances qu'on imagine.

Le fait que des parents travaillent, et même travaillent de longues heures, peut favoriser le bien-être et la réussite scolaire des enfants. Ce constat, a priori étonnant, résulte d'une imposante recherche menée auprès de quelque 3000 écoliers du primaire par des chercheurs de l'Université Laval et de l'Université de Montréal.

La même étude révèle en revanche que les changements de cap professionnels des parents - y compris leurs promotions - sont particulièrement ravageurs pour les enfants de 6 à 11 ans. Ils écopent aussi lorsque leurs parents ont des horaires moins propices à la vie de famille ou de mauvaises conditions de travail - par exemple, lorsque leur mère travaille le week-end ou le soir.

«Cela les prive sans doute de temps précieux qui pourrait être consacré à jouer ensemble, à lire, à faire des devoirs ou des sorties», avance l'auteure principale de l'étude, Sylvie Montreuil, ergonome et professeure au département de relations industrielles de l'Université Laval.

Tout frais, son rapport de 233 pages décrit près d'une vingtaine de facteurs (positifs et négatifs) qui influent sur le comportement ou le rendement scolaire.

On découvre ainsi que les écoliers canadiens qui réussissent mieux que la moyenne à l'école sont plus susceptibles d'avoir une mère qui travaille. Et que ceux qui vont bien (c'est-à-dire qui ont moins de problèmes de comportement) sont plus susceptibles d'avoir une mère qui travaille plus de 40 heures par semaine.

«On aurait cru le contraire, mais peut-être que le fait de travailler beaucoup amène les mères à faire plus d'efforts pour s'organiser, à trouver des stratégies pour compenser. Peut-être qu'elles rognent sur leurs activités personnelles pour rester présentes ou cherchent davantage à consacrer du temps de qualité aux enfants», avance Sylvie Montreuil.

Par ailleurs, un bon revenu familial permet d'offrir aux enfants un environnement plus stimulant.

Il est aussi possible que de longues heures de travail aillent de pair avec un horaire plus stable, susceptible de favoriser le bien-être psychologique des enfants. Car c'est l'imprévisibilité qui leur fait le plus mal, constate Mme Montreuil. Dans 51% des familles, l'un des deux parents ne travaille pas selon l'horaire standard de 9 à 5. Si cela leur permet de se relayer, de mieux planifier, c'est une bonne chose, mais si cela complique leur organisation, c'est dommageable.

C'est ce qu'a démontré Karen Messing, professeure associée au département des sciences biologiques de l'UQAM. Pendant 2 semaines, elle a suivi 30 mères de famille qui travaillaient comme téléphonistes dans un centre d'appel. Ces femmes découvraient leur horaire deux jours avant de commencer leur semaine de travail et ne commençaient jamais au même moment. En 14 jours, elles ont donc été forcées de faire 156 tentatives de troc pour échanger leurs heures, plus 212 tentatives pour ajuster l'horaire de garde de leurs enfants, qui passaient de mains en mains. Entre le début et la fin de l'étude, les enfants avaient été confiés en moyenne à quatre personnes différentes, et certains avaient eu jusqu'à huit gardiens.

«Dans bien des entreprises, les horaires sont générés par un logiciel, explique Mme Messing. Il faudrait les affiner pour qu'ils tiennent compte des préférences des gens. C'est une erreur de croire que tous réclameront le même horaire. Selon la disponibilité de leur conjoint et de leur entourage, ou selon l'âge de leurs enfants, les mères ne veulent pas automatiquement faire du 9 à 5.»

Attention aux promotions

Au-delà des horaires, les transitions professionnelles se révèlent particulièrement défavorables à la réussite et au bien-être des enfants. Qu'on travaille plus ou moins qu'avant, qu'on change de poste, qu'on perdre un emploi ou qu'on en décroche un, les écoliers peuvent en souffrir. «Même les promotions causent un stress, précise Sylvie Montreuil. Sans doute parce que l'adaptation au changement peut amener le parent à diminuer la quantité ou la qualité de temps passé avec l'enfant, ce qui peut nuire à leur relation.»

Fait étonnant: les chercheurs ont observé une dégradation jusqu'à deux ans plus tard.

Or, souligne Mme Montreuil, plus longue est la carrière, plus nombreux sont les changements qu'elle entraîne (de poste, d'entreprise, etc.), avec les répercussions sur la famille que cela suppose.

Lorsqu'on retourne travailler sur le tard, l'âge des enfants entre en tout cas en ligne de compte. Les enfants qui avaient 8 ou 9 ans lorsque leur mère a intégré le marché du travail semblaient aller moins bien que ceux qui avaient 10 ou 11 ans lorsque leur propre mère en a fait autant. Ils réussissaient aussi nettement moins bien à l'école. (L'étude ne permet pas de savoir ce qu'il en est quand une mère commence à travailler lorsque son enfant a 6 ou 7 ans ou qu'il n'est pas encore entré à l'école.)

Lutter contre la fatigue et le bruit

Chose certaine, les écoliers pâtissent des mauvaises conditions de travail de leurs parents. Pour arriver à cette conclusion, les chercheurs ont mené une enquête téléphonique complémentaire auprès de 1002 ménages québécois.

Ils ont ainsi découvert que les enfants qui ont des difficultés scolaires sont deux fois plus susceptibles d'avoir un parent qui ressent souvent de la fatigue physique au travail (1). Ils sont aussi plus susceptibles d'avoir un parent qui travaille dans le bruit (2) ou qui vit fréquemment des situations de tension avec le public.

«Ce que les gens subissent au travail les suit jusqu'à la maison. Ils arrivent sans doute épuisés, tendus, moins patients et moins disposés à s'occuper de leurs enfants», suppose Mme Montreuil.

Que conclure? «Puisque les difficultés au bureau se répercutent sur la future génération, il faut intervenir socialement», répond-elle. Déjà, 84% des personnes qui occupent un emploi ont des responsabilités parentales. Et les experts s'entendent pour dire que la pression au travail va s'accentuer. «C'est de plus en plus le cas avec les technologies de l'information, la mondialisation, la compétitivité, la chasse aux temps morts et le travail autonome», énumère Mme Montreuil.

L'ergonome ne cherche pas à culpabiliser les parents, mais à alerter le gouvernement, les employeurs et même les syndicats. «Il faudrait se battre pour les bonnes choses, dit-elle. Avoir davantage la volonté d'améliorer les conditions d'exécution du travail. Il y a des cultures de métier où ça s'achète, des conditions de travail plus dures. Mais tout ne devrait pas être monnayable.»

«Il y a aussi des choix à faire comme société, conclut la chercheuse. Garder les commerces ouverts 24 heures, à mes yeux, c'est effrayant. Je peux trouver ça pratique comme consommatrice d'appeler à 11 h le soir, mais si j'avais appelé le lendemain, je ne serais pas morte. Alors que la femme qui répond au bout du fil, tout son quotidien en dépend.»

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Quand les mères travaillent-elles?

Parmi tous les écoliers canadiens:

80% des écoliers avaient une mère qui travaillait alors qu'ils avaient 6 ou 7 ans (soit au début de l'étude).

8% des écoliers ont vu leur mère entrer sur le marché du travail alors qu'ils avaient 8 ou 9 ans (à la deuxième étape de l'étude).

4% ont vu leur mère entrer sur le marché du travail alors qu'ils avaient 10 ou 11 ans (à la troisième étape de l'étude).

8% d'entre eux n'ont jamais vu leur mère travailler.

Parmi les mères qui travaillaient:

38% travaillaient 40 heures et plus par semaine;

38% ont fait état d'une modification de leur horaire de travail durant l'étude;

37% ne travaillaient pas de jour;

36% travaillaient le week-end;

10% avaient deux emplois ou plus.

Note: C'est le parent qui connaissait le mieux l'enfant qui a répondu aux questions de l'enquête. Dans plus de 80% des cas, il s'agissait de la mère.

(1) C'est le cas de 22% d'entre eux, contre 11% des enfants qui ont un rendement supérieur.

(2) C'est le cas de 32% d'entre eux, contre 18% de ceux qui ont un rendement supérieur.