Les cigarettes, les clubs de poker et, plus récemment, l'«éviction» des non-autochtones.

À tort ou à raison, Kahnawake continue d'alimenter les perceptions négatives. Pour beaucoup de gens de l'extérieur, la réserve mohawk de la Rive-Sud reste un lieu plus ou moins accueillant où l'on ne va que pour le jeu et la nicotine.

«C'est toujours le même cliché, souligne Jordan Standup, journaliste à l'Eastern Door, l'hebdo de Kahnawake. À croire ce qu'on lit, nous sommes tous riches, nous avons tous de grosses bagnoles et nous sommes tous liés au commerce des cigarettes.»

Cette vision forcément réductrice, largement entretenue par certains médias et le souvenir de 1990, n'est pas sans agacer les habitants de la «Rez», qui aimeraient bien faire les manchettes pour autre chose que le vice.

Car Kahnawake, disent-ils, existait bien avant les warriors et les smoke shops.

«Il y a beaucoup de mythes et d'incompréhension, juge Keith Diabo, du garage Gran Sport Autobody. Vous savez, la majorité des gens ne travaillent pas dans les cigarettes. Ils ont une petite vie bien tranquille. Ici, c'est vraiment Small Town, USA.»

C'est ce qu'on a pu constater après un petit séjour dans la réserve. Même si Montréal est à la porte, Kahnawake nous a donné l'impression d'une petite ville de campagne vivant dans sa propre dimension, quelque part entre l'Ontario et le Massachusetts.

Évidemment, on ne passe pas inaperçu dans un bled de 7000 âmes. Au premier abord, on a eu le sentiment que les gens nous regardaient de travers. Mais, une fois la glace brisée, la méfiance a fait place à l'ouverture.

Du coup, Kahnawake a révélé l'autre côté de sa personnalité, avec ses gloires locales, ses personnages improbables, ses histoires insolites et sa puissante pulsion créatrice. Allumée oui, mais pas dans le sens tabagique...

Au fond, il suffisait de gratter un peu. «Si tu crois à toutes ces histoires négatives, tu resteras toujours en dehors. Et si tu te sens mal à l'aise, moi je dis: trouve ton chemin tranquillement», conclut Jordan Standup.

LE SAVIEZ-VOUS?

Il n'y a pas de noms de rues ni de numéros à Kahnawake. On raconte à la blague que c'était pour mystifier la police provinciale. En réalité, c'est parce que les citoyens ne voulaient pas que la réserve ressemble à une municipalité ordinaire.

Le nationalisme mohawk n'est plus un secret. Certains croient tellement à la souveraineté de leur nation qu'ils se sont même munis d'un passeport mohawk. Certains pays l'acceptent. D'autres non.

À Kahnawake, les Bruins sont plus populaires que le CH. Il faut savoir que plusieurs générations d'ouvriers mohawks ont gagné leur vie à New York ou à Boston et gardent encore un grand attachement pour les États-Unis.

Quatre drapeaux flottent sur la réserve. Celui des Mohawks (considéré à tort comme la bannière des warriors), celui de la confédération iroquoienne (six nations au total), celui du Canada et celui des États-Unis. Le fleurdelisé? Aucune trace...

Kahnawake possède deux systèmes de gouvernance. Plus politique, le conseil de bande a des attaches à Ottawa. Les maisons longues (il y en a trois) sont d'ordre spirituel et culturel. Certains voudraient que ces dernières aient plus de pouvoir politique.

Photo Ivanoh Demers, La Presse

ROCK'N'RÉSERVE

Être tendance tout en restant profondément mohawk, tel est le défi des musiciens rock de Kahnawake qui veulent réussir dans le circuit commercial.

«Le but n'est pas tant de mettre de l'avant notre identité que de ne pas cacher qui nous sommes», explique le parolier du groupe rap FBI, auteur de No Place Like Home, une chanson qui parle de la vie dans la réserve.

Pas facile, du reste, de se faire connaître en dehors de la «Rez». Selon Lance Delisle, animateur à la radio K103, «il faut peut-être travailler un peu plus fort» quand on vient de Kahnawake. Même son de cloche du côté de l'auteur-compositeur Don Patrick Martin, qui évoque carrément la question du «racisme».

Mais certains réussissent. C'est le cas du groupe métal Avery's Descent, qui s'est produit en première partie de la formation canadienne Kittie pas plus tard que la semaine dernière. Ou d'un certain Ricky Rice, qui faisait partie du groupe pop-rock Beau Geste dans les années 80.

À l'heure actuelle, la palme revient toutefois à Corey Diabo, guitariste attitré du rocker Jonas. Ouvertement apolitique, Diabo n'a jamais voulu exploiter son «indianité». Mais il n'en reste pas moins un modèle pour les jeunes de la réserve, souligne Lance Delisle. «Il leur donne la chance de rêver.»

Photo fournie par le groupe.

Le groupe FBI.

GEORGE HILL, le MIGHTY MOHAWK

La légende vivante de Kahnawake, c'est lui. George Hill, 80 ans. Fondateur du groupe The Mighty Mohawks. Auteur de l'immortelle chanson Kahnawake, propriétaire de l'un des cinq clubs de golf de la réserve et intarissable conteur.

À entendre le monsieur, il a tout fait. Designer de panneaux signalétiques chez Ogilvie, danseur folklorique amérindien à New York, politicien de la cause autochtone (il a participé aux négociations sur la Baie-James), on en passe...

Sa plus grande fierté reste sa carrière de chanteur country, entamée à la fin des années 50. Avec The Mighty Mohawks, George a enregistré quelques disques et fait les belles heures du cabaret Monterrey, au coin des rues Peel et Sainte-Catherine. «On remplissait la place six soirs par semaine», raconte l'octogénaire à la voix de Johnny Cash. «Et crois-moi, notre public ne buvait pas du 7-Up!» Punks avant la lettre, les musiciens s'étaient même fait tondre les cheveux à la manière mohawk - un simple «coup de showbiz», dit-il.

Aujourd'hui, George Hill vit dans ses souvenirs au Mohawk Hills Golf Club, sa deuxième maison. L'endroit est tapissé de photos et d'objets qui racontent sa vie de vedette, dont cette impressionnante coiffe de chef autochtone, qu'il ressort à l'occasion pour épater la galerie.

Même si les Mighty Mohawks ne sont plus actifs, il est loin d'avoir rangé sa guitare. Tous les vendredis soir, pendant la saison morte, George et ses vieux potes se retrouvent pour «jammer» autour d'une bière. On ne le dira pas trop fort, mais voilà sûrement le secret le mieux gardé de Kahnawake. Musical, à tout le moins...

Photo David Boily, La Presse

George Hill.

BINGO NIGHT AU K103 FM

La radio communautaire de Kahnawake a trouvé une façon de remplir ses coffres: des soirées bingo radiodiffusées. Depuis 25 ans, c'est LA tradition du vendredi soir dans la réserve et cela génère 85% des revenus de la station.

Le concept est simple: vous achetez vos cartes de bingo dans une des 10 épiceries dépositaires (huit dans la réserve, une à Montréal, une à Châteauguay) et vous jouez dans le confort de votre cuisine.

Selon Deborah Hall, employée de la station, le succès de l'émission doit beaucoup à son côté cocooning: «Ça permet aux gens de fumer et de boire autant qu'ils veulent!»

On ne sait pas pour le cocooning, mais en studio, ça brassait fort.

Entre l'animation, le tirage des numéros, la validation des billets et l'incessante sonnerie du téléphone, il était hors de question d'en décapsuler une.

Quand le premier gagnant s'est manifesté, Deborah a hurlé «bingooooooo!» à travers les murs. Mais la seule «broue» était celle qu'elle avait dans le toupet! Friday Night Bingo. Le vendredi de 20h à 22h au 103,7 FM. À gagner: 10 lots de 1000$US. www.k103radio.com

Photo David Boily, La Presse

LE SOUTH PARK DES MOHAWKS

Depuis deux ans, Kahnawake fait l'objet d'un dessin animé diffusé sur les ondes de la chaîne aborigène APTN. Baptisée By the Rapids (le sens anglais du mot Kahnawake), cette émission très populaire est l'oeuvre de Joseph Tekaroniaki Lazare, jeune Mohawk de 25 ans devenu vedette du Canada autochtone.

En gros, on y raconte l'histoire d'un choc culturel. Celui d'un ado revenu vivre dans la réserve après avoir été élevé en ville. Imaginez South Park version mohawk, avec des jeunes qui traînent, des histoires un peu débiles et des dessins volontairement naïfs.

«Je me suis mis dans la peau de quelqu'un de l'extérieur qui réalise quelle étrange bulle Kahnawake peut être, explique Joseph Lazare, joint à Toronto, où il vit désormais. «Mais j'ai voulu le faire avec humour. Parce que ça fait partie de nous et que ça manque trop souvent dans les productions aborigènes.»

Faut croire que la blague a du souffle puisque APTN veut reconduire l'émission. Joseph Lazare planche actuellement sur une troisième saison.

Photo PC

POUR L'AMOUR DE BUICK

Gran Sport Autobody est un petit garage de rien du tout à la réputation internationale.

Tenu par les frères Duane et Keith Diabo, cet atelier de débosselage a fait sa marque mondialement pour sa restauration inégalable de muscle cars. Les deux frères se spécialisent plus particulièrement dans la restauration de la Buick GS des années 70, une voiture méconnue qui a été produite en petite quantité. «J'adore le côté sous-estimé de cette bagnole. Elle n'a l'air de rien, mais quelle puissance!» résume Keith.

En 25 ans, le garage des frères Diabo a fait la couverture de plusieurs magazines américains consacrés aux grosses cylindrées. Une de leurs voitures restaurées a même servi de modèle à un jouet!

Anciens rockeurs, les deux frangins ont gardé leur âme d'artistes. Pas question pour eux de produire en série. Leur restauration est tellement minutieuse qu'ils n'acceptent pas plus de deux voitures par année. «Notre souci du détail, c'est ce qui nous amène des clients», conclut Keith. www.gransportautobody.com

EN CHIFFRES

7563 Nombre d'habitants dans la réserve.

853 Nombre moyen de bénéficiaires de l'aide sociale.

De 20 à 25% Pourcentage estimé de la population chrétienne (catholiques, protestants et pentecôtistes confondus). Le reste de la communauté se divise entre traditionalistes, athées et même témoins de Jéhovah, qui sont environ une trentaine.

10% Pourcentage estimé de gens qui parlent mohawk couramment.

31 Nombre de personnes qui ont obtenu une maîtrise depuis 10 ans; six personnes ont décroché un doctorat durant la même période. 

Photo Ivanoh Demers, La Presse