La cavale de l’ours polaire aperçu en Gaspésie le printemps dernier aurait pu se terminer de pire manière puisqu’il rôdait dans la région depuis cinq jours au moins lorsqu’il a finalement été signalé puis abattu à partir d'un hélicoptère.

C’est ce que démontre une série de documents du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) obtenus par La Presse grâce à la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.

Parmi ceux-ci, des images montrant une touffe de poils de la bête en date du 25 avril, cinq jours avant qu'elle soit abattue.

Lisez « L’ours polaire aperçu en Gaspésie finalement abattu »

L’animal considéré comme le plus grand prédateur de la planète a alors été repéré par la caméra de surveillance d’un chasseur du secteur de Petite-Vallée, à 25 km de l’endroit du secteur de Madeleine-Centre, à Sainte-Madeleine-de-la-Rivière-Madeleine, où il a poussé son dernier souffle.

L’ours était sur le continent depuis au moins 5 jours car les photos datent du 25 avril, 5 jours avant le signalement.

Un fonctionnaire dans un échange lourdement caviardé fourni par le MFFP

« On a été chanceux que rien n’arrive avant », note à juste titre ce même fonctionnaire.

PHOTO TIRÉE D’UN DOCUMENT DU MFFP

Le pellage de l’ours polaire (en bas à droite) tel que capté par la caméra d’un chasseur le 25 avril 2022, dans le secteur de Petite-Vallée

Appelé à commenter le risque qu’ont couru les résidants de la région, le MFFP a indiqué qu’il ne pouvait se prononcer sur cette question.

« Dans ce cas précis, aucune chance n’était à prendre considérant la proximité avec la population du secteur et le danger que cet animal représente pour l’humain », soutient Stéphane Desmeules, relationniste de presse au MFFP.

« L’immobilisation chimique » considérée

Mais l’option de « l’immobilisation chimique » avait été considérée en même temps que l’abattage, avant d’être finalement mise de côté. Les équipes sur place ont d’ailleurs été informées qu’Environnement et Changements climatiques Canada n’avait pas non plus de « matériel disponible, hélicoptères, tranquillisants » à sa disposition pour capturer l’ours blanc.

« L’animal est imposant et a un comportement confiant. L’option de l’immobilisation chimique ne peut être retenue. Les cages à ours noir disponibles ne peuvent contenir un ours polaire de ce gabarit », écrit toutefois un agent de la faune dans son rapport de l’évènement.

Nous recevons la décision de l’organisation que la priorité est accordée à l’enjeu de sécurité des citoyens et des agents et qu’en conséquence l’animal doit être abattu.

Un agent de la faune dans son rapport de l’évènement

« Un hélicoptère est nolisé pour le lendemain matin », poursuit-il. « Vers 8 h 13, les lieux sont sécurisés et l’ours est abattu. »

Dans son bilan de l’opération, le MFFP a défendu bec et ongles sa décision d’opter pour l’abattage de l’ours.

« Immobilisation chimique vs. abattage », indique malgré tout un point au menu du débreffage organisé par le MFFP le 2 mai, le lendemain de l’opération.

C’est l’impossibilité d’effaroucher cet animal et l’incompatibilité des équipements disponibles sur place qui ont mené à cette décision de dernier recours.

Mario Gosselin. de la direction du bureau du sous-ministre du MFFP, dans un long courriel en réponse à une plainte d’un citoyen choqué de l’intervention

« Les protocoles mis en place à Churchill au Manitoba, où la cohabitation avec l’ours blanc est prévisible, sont des exemples qui ne peuvent se comparer à la situation vécue en Gaspésie. Ce genre de protocole doit être minutieusement préparé par des spécialistes vétérinaires et biologistes », affirme la Direction du bureau du sous-ministre au MFFP.

Lisez « La capture, une opération “complexe et risquée” ici, mais courante au Manitoba »

Une traversée du Saint-Laurent ?

Les documents obtenus portent également un éclairage sur la provenance de l’ours dont on sait somme toute peu de choses, hormis le fait qu’il proviendrait du détroit de Davis, au nord-est du Québec.

Un ours polaire, possiblement le même, avait été observé dans le secteur de Baie-Johan-Beetz, en Basse-Côte-Nord, deux semaines auparavant.

« Il aurait pris la mer vers le 13 avril à Baie-Johan-Beetz. Si c’est bien le même ours, il a fallu qu’il contourne ou traverse l’île d’Anticosti », précise une porte-parole du MFFP dans un échange de courriels peu de temps après l’opération.

PHOTO TIRÉE D’UN DOCUMENT DU MFFP

Les déplacements de l’ours dans le secteur de Baie-Johan-Beetz, en Basse-Côte-Nord, selon l’heure et la date

C’était un « jeune mâle » d’environ 5 ans d’après son poids, note la personne responsable de la nécropsie effectuée par une équipe de la faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal.

Réserves graisseuses abondantes. Honnêtement un peu surprenant pour ce temps-ci de l’année, je me serais attendu à un ours plus maigre au début de la saison d’alimentation, mais bon, [il] faudrait trouver des références là-dessus.

Rapport de la nécropsie de l’ours polaire effectuée par la faculté vétérinaire de l’Université de Montréal

Le MFFP travaille actuellement à déterminer « la meilleure façon » de mettre en valeur la peau de l’animal. Celle-ci est en cours de tannage auprès d’un service spécialisé. Québec a aussi déboursé 400 $ pour faire écorcher l’animal.

Le Ministère a entrepris « des démarches internes visant à mettre en place un mécanisme quant à la gestion des ours polaires importuns », précise la direction du bureau du sous-ministre du MFPP. Toutefois, ce dernier n’entend pas procéder à une enquête indépendante au sujet de l’opération ayant mené à l’abattage de l’ours polaire.

En savoir plus
  • 5330
    Nombre d’ours blancs que comptent les trois sous-populations présentes au Québec, soit celles du bassin de Fox (environ 2300 individus), du sud de la baie d’Hudson (environ 800 individus) et du détroit de Davis (environ 2250 individus)
    Source : MFFP